28 novembre 2005

Chaos urbain: le besoin d'école

Rebonds
Contre les jeunes immatures qui brûlent des voitures, les idéologies victimistes sont vaines. Chaos urbain: le besoin d'école
Par Sophie ERNST, lundi 28 novembre 2005

Sophie Ernst philosophe et chargée d'étude à l'Institut national de recherche pédagogique.
Les enquêtes réalisées sur les violences urbaines par toutes sortes d'institutions ayant à en connaître (justice, police, école, travail social...) ont mis en évidence avant tout la dimension sociale et globale : banlieues enclavées, pluriethnicité, grande pauvreté, familles nombreuses, chômage, échec scolaire. Il est hors de doute que ces facteurs touchant globalement une population sinistrée sont essentiels. Cela étant, en rester à une description ne nous donne aucune prise pour comprendre les passages à l'acte ni pour y remédier, car il manque les articulations fines ­ il n'y a que depuis les lieux du pouvoir que les pauvres sont une masse indistincte sans différences individuelles dans les conduites, les valeurs et les aspirations. La télévision s'est faite, tout particulièrement, l'écho de cette vision où la compassion la plus convenue le dispute à la fascination pour le spectacle. C'est ainsi qu'un sociologue nous a doctement expliqué pourquoi l'on brûle les voitures : parce qu'on n'en a pas. Normal, quoi. Mais peut-on en rester là ? L'insistance sur la grande pauvreté et le chômage, comme causes déterminantes et automatiques des violences éveille immédiatement un réflexe offensé de toutes les catégories sociales pauvres ou qui ont grandi dans un milieu pauvre, qui ont le sentiment d'avoir subi avec dignité des situations au moins aussi difficiles : nous n'avions rien, nous non plus, et nous n'avons jamais tout cassé ­ et certainement pas mis le feu aux autobus, attaqué les pompiers, et détruit les écoles !
C'est une petite partie des jeunes qui passent à l'acte et pas n'importe lesquels : les études révèlent des êtres qui sont bien moins intrinsèquement violents que perturbés et gravement immatures, au sens où ils n'ont pas intégré des apprentissages minimaux de maîtrise de l'émotivité, de l'impulsivité et ne sont pas à même de se poser comme sujets si peu que ce soit autonomes (cette analyse concerne le gros des troupes, non pas les meneurs, dont le profil est sensiblement différent). Le trop court circuit de l'explication par le chômage et les discriminations occulte une difficulté majeure qu'il faudra bien surmonter ­ ces jeunes qui basculent dans des comportements anomiques, souvent autodestructeurs, parfois délinquants, sont difficilement employables, à peu près pour les mêmes raisons qui les rendaient difficilement scolarisables... On est en deçà même de la disponibilité à l'apprentissage, si celui-ci n'est pas soigneusement soutenu par un dispositif de soutien très attentif. Rares parmi les enseignants, parmi les employeurs sont ceux qui sont préparés à gérer des conduites aussi imprévisibles et réactives.
On a affaire à des individus dont la subjectivité est en grave souffrance, notamment du point de vue de la liaison du temps vécu : enfermement dans le présent, difficulté à réaliser les conséquences d'un acte, encore plus à l'anticiper, chaîne temporelle dangereusement hachée, difficulté à se mettre en pensée à la place d'autrui. Toute situation est structurée de façon binaire, dans la dépréciation stéréotypée des «autres» : territoire ­ étranger au territoire, eux-nous, gagnant-perdant, fort-faible...
Le tableau nous présente en creux les finalités des apprentissages premiers de l'école. Toute prévention devrait d'abord concentrer ses efforts dans l'encadrement éducatif de proximité, dans les établissements scolaires et dans le soutien aux familles, car il est probable que ces ratages éducatifs viennent en partie de déstructurations familiales, dont les causes sont diverses et complexes, jamais réductibles à un seul facteur (et certainement pas à l'islam). Durement touchées sont les familles issues de mondes traditionnels eux-mêmes ébranlés, qui sont le plus désaccordées à une société postmoderne qui les déstructure à bien des égards. Les diffractions symboliques produisent ici du chaos, où il n'y a pas tant une «perte de repères» qu'une pléthore d'injonctions contradictoires et désarticulées, dans une immense confusion.
La différence avec les années 90 est que certaines idéologies ont été abondamment diffusées par des groupes associatifs et politiques, et ont donné lieu à des versions Internet très violentes. Notamment toutes sortes de discours qui héroïsent et justifient les actions violentes en leur fournissant une explication stéréotypée jouant de l'inversion de culpabilité. Ce sont ces discours manichéens qui vont fournir une cohérence et une identité en liant des éléments chaotiques et en leur donnant une apparence de sens. Ainsi, à cette immaturité subjective se superpose une posture d'ex-colonisé, indigène de la République, victime du néocolonialisme républicain, descendant d'esclave, victime du racisme et des discriminations, condamné au chômage ou au rejet sur le seul critère de son appartenance ethnique. Ces idéologies sont d'autant plus propagées et facilement intégrées qu'elles reposent sur une base de vérité, importante à reconnaître et à faire connaître, et que du coup, elles touchent une corde sensible dans l'opinion. C'est le propre de l'idéologie, d'être non pas un mensonge ou une erreur, mais une vision tronquée de la réalité. Lorsque le débat se situe entre intellectuels, pas de gros problème, quelque polémiques et anachroniques que puissent être les dénonciations... Mais la vulgarisation démagogique et venimeuse des mêmes débats a des effets désastreux sur une jeunesse déjantée, qui, faute de pouvoir élaborer une subjectivité cohérente et réaliste, se précipite sur un discours qui lui donne non pas une consistance, mais une posture.
Ces idéologies victimistes et vindicatives donnent une illusion de subjectivité, parce qu'elles permettent de dire quelque chose à la télé. Puis l'on reçoit de son image télévisuelle la garantie que l'on est bien ce qu'elle montre, dans un bouclage sans fin et cela bloque les évolutions nécessaires. Il faut mesurer la détresse et le sentiment de chaos qui sous-tendent une telle posture de «dépendance agressive», pour comprendre que le chemin de construction de personnalités plus structurées sera bien ardu.
En tout état de cause, ce n'est pas le colmatage des subjectivités immatures par les idéologies vindicatives qui permettra ce chemin. Tout au contraire, en déréalisant la vision de soi et du monde, elles entretiennent des erreurs graves d'adaptation. Une politique de remédiation demande de la persévérance et de la cohérence, et impose de distinguer les problèmes pour apporter des réponses ciblées, finement ajustées et coordonnées. Toutes choses dont s'accommodent mal les dénonciations massives, qui s'enivrent de leur propre intransigeance impatiente et exaspérée. Je doute qu'elles aident à repenser les dispositifs d'accompagnement, déjà tellement mis à mal par les politiques de court terme.
Mais qui sait, le temps est peut-être venu pour les dénonciateurs eux aussi d'accéder à plus de maturité ?
http://www.liberation.fr/page.php?Article=340860

22 novembre 2005

Perspectives

Rebonds
Quatre chercheurs débattent pour «Libération» de ces trois semaines de violence.Quelle crise des banlieues?
Par Pierre ROSANVALLON et LE GOFF Jean-Pierre et Emmanuel TODD et Eric MAURIN
lundi 21 novembre 2005
Pierre Rosanvallon : Titulaire de la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France. Dernier ouvrage paru : le Modèle politique français, la société française contre le jacobinisme, de 1789 à nos jours (Seuil).

Jean-Pierre le Goff : Sociologue, il anime le club Politique autrement. Dernier ouvrage paru : la Démocratie post-totalitaire (La Découverte).

Emmanuel Todd : Démographe à l'Institut national d'études démographiques (Ined). Dernier ouvrage paru : Après l'empire, essai sur la décomposition du système américain (Gallimard).

Eric Maurin : Chercheur au Groupe de recherche en économie et statistique (Grecsta, CNRS). Dernier ouvrage paru : le Ghetto français, enquête sur le séparatisme social (Seuil).
Commencer par essayer de comprendre, puis tenter une explication du phénomène inédit de trois semaines d'émeutes dans les banlieues : c'est ce qu'a proposé Libération à quatre universitaires et essayistes réputés pour l'acuité de leur regard sur les fractures de la société, à l'occasion d'une table ronde organisée le 14 novembre (avant l'intervention télévisée du Président). Jean-Pierre Le Goff, Eric Maurin, Pierre Rosanvallon et Emmanuel Todd se livrent à une confrontation qui s'enrichit de leurs approches plurielles d'une question qui les préoccupe tous : la crise du modèle républicain. Le débat est animé par Eric Aeschimann et Jean-Michel Helvig.

Mouvement politique ou révolte nihiliste ?

Pierre ROSANVALLON. Il y a trois niveaux de compréhension à articuler. D'abord, la matérialité des événements eux-mêmes (scènes de révolte et de violence), ensuite la situation sociale générale des banlieues, enfin le malaise français. Les événements sont liés aux actions de gens très jeunes, actions très violentes et sans signification en elles-mêmes. Mais on peut se demander si le terme de nihilisme est adapté pour qualifier le mouvement actuel. Celui-ci, à coup sûr, se caractérise par l'absence de parole et provient d'un milieu qui a lui-même du mal à prendre la parole. Les violences remplacent en quelque sorte la prise de parole, à l'inverse de mai 1968. Il n'y a aucune prise de parole, sinon via la chanson et le rap. C'est le monde entier de la banlieue qui, en général, ne prend pas la parole et ceux qui parlent le font sur le mode de la violence. Le silence social de cette population est plus largement lié à la difficulté générale de la société française à se comprendre et à parler d'elle-même. Dès lors, nous sommes face à un emboîtage de silences : silences infrapolitiques (comment demander une conscience politique à des jeunes de 17 ans ?), silence social du milieu et silence social de la société française. Les grands événements que nous avons vécus, comme le non au référendum, sont aussi des formes de silence qui s'expriment. Ils ne sont pas une prise de parole, mais un enfoncement et un engoncement dans la difficulté à parler et à parler de soi. Le malaise français est en ce sens l'expression d'un vide, d'une difficulté à se projeter positivement dans l'avenir, d'une absence d'horizon.

Jean-Pierre LE GOFF. Il convient de délimiter précisément ce dont nous parlons : les nuits de violence dans les banlieues ne sont pas un «mouvement» et ne reflètent pas la vie de la majorité des habitants. La révolte des bandes de jeunes minoritaires est, pour le moins, infrapolitique, même si elle a des répercussions politiques. Les habitants des banlieues se posent une question que nous devons oser aborder : qu'est-ce que ces jeunes ont dans la tête ? Se heurter à cette réalité oblige à se décentrer : il existe une véritable difficulté de langage qui colle aux pulsions, et des passages à l'acte. A mon avis, avec ces nuits de violence, nous avons affaire à un type de vandalisme qui déconcerte les schémas militants. Il condense de façon paroxystique et très violente le problème du chômage et celui de la désaffiliation, c'est-à-dire la déstructuration familiale (que l'on appelle pudiquement «familles monoparentales»), mais aussi celui de la déstructuration de l'appartenance de classe et à la Nation. Dans les années 30, même si l'on était pauvre et victime du chômage, on était inséré dans des collectifs et capable de canaliser sa révolte. Ce n'est pas vraiment le cas aujourd'hui pour ces bandes de jeunes qui détruisent les écoles de leur quartier, les bus, les voitures de leurs voisins... Avant de s'interroger sur les conditions qui ont rendu possible ce phénomène, il faut le regarder en face, à l'instar des animateurs sociaux qui sont en première ligne depuis des années. Il est temps que la gauche rompe avec le déni de la réalité et l'angélisme.

Emmanuel TODD. La France vit, comme la plupart des sociétés développées, une montée des inégalités qui va au-delà des données économiques objectives. La société est véritablement travaillée par la montée de nouvelles valeurs sociales inégalitaires, associées à une nouvelle forme d'individualisme. Dans un pays comme la France, ce qui passe assez bien aux Etats-Unis se heurte à un fond anthropologique qui contient une forte composante égalitaire. Cette valeur entre en réaction avec la montée de la valeur inégalitaire. Cela explique les réactions successives des divers groupes sociaux qui mélangent ces deux valeurs. Aujourd'hui, nous avons à faire à des jeunes de banlieue ­ ils ont, en moyenne, 17 ans. Il faut les comparer aux lycéens des années 70 plutôt qu'aux ouvriers qualifiés du Parti communiste de la grande époque. La valeur égalitaire apparaît très clairement. J'ai travaillé sur les différences de situation des émigrés en Europe et aux Etats-Unis. Il apparaît que la situation française est très spécifique, mélange de déstructuration de la famille originelle maghrébine ou africaine par l'intégration des valeurs françaises, avec une importance assez forte des mariages mixtes. La rage des banlieues est une réaction de protestation qui, pour moi, est égalitaire. A cet égard, ces jeunes sont parfaitement assimilés en termes de valeurs politiques. Et l'histoire enseigne qu'il n'y a pas de révolte sans espoir.

Eric MAURIN. Il faut bien voir ce qu'est la conscience sociale des jeunes quittant l'école à 17 ans, qu'ils aient ou non participé aux violences. Ils ont en commun une expérience particulièrement dure et marquante, celle de la relégation, puis de la disqualification scolaire au collège. Le point de départ de mai 1968, c'était la révolte des recalés des classes moyennes face à la fermeture du véritable enseignement supérieur aux enfants des classes moyennes. Aujourd'hui, tout a changé : c'est la grande difficulté des enfants des classes populaires face au collège et au lycée qui est en cause. Cette difficulté dérive en partie de l'extrême précarité des conditions de logement et d'existence des enfants des familles pauvres. Ce n'est pas un problème que l'Education nationale peut régler seule. Les politiques du logement n'ont pas fait reculer les problèmes de surpeuplement qui touchent près du quart des enfants et sont une cause majeure d'échec à l'adolescence. Les politiques urbaines n'ont pas non plus fait reculer la ségrégation territoriale. Les enfants pauvres vivent aujourd'hui dans des quartiers où le taux de pauvreté est quatre fois plus élevé qu'ailleurs. Or il est extrêmement difficile d'adopter ne serait-ce qu'une attitude positive vis-à-vis de l'école quand on grandit entouré de camarades en échec.

Jean-Pierre LE GOFF. La différence est nette par rapport à 68 ou aux luttes des lycéens des années 70, par exemple. Les enragés de 68 passaient par le festival de la parole, ils s'inscrivaient dans un héritage rebelle et n'étaient pas dans une logique victimaire et de ghetto. On cherche toujours à ramener à tout prix le nouveau dans des cadres anciens, comme pour se rassurer. Formateur dans les banlieues dans les années 80, j'étais déjà déconcerté à l'époque par un phénomène que je ne pouvais pas maîtriser : l'image dépréciative de soi qui habitait une partie de ces jeunes et qui s'exprimait par une agressivité et une agitation constantes. Le défi auquel nous avons affaire n'est pas aisé à relever. Le chômage et les perspectives d'avenir sont centraux, bien sûr, mais il y a une désocialisation dont il importe de prendre la mesure. Ces jeunes minoritaires qui se livrent à des violences sont autocentrés et en rage, ils mêlent désespoir et nihilisme. Cette destruction des quartiers dans lesquels ils vivent est une logique d'autodestruction. Le problème ne se résoudra pas par la proclamation des principes et des bonnes intentions.

Pierre ROSANVALLON. C'est la longue histoire du social. Dans Les Misérables, Victor Hugo opposait émeute et insurrection. L'émeute est le moment chaotique de la destruction. L'insurrection, au contraire, est le moment qui projette politiquement dans l'avenir un groupe qui a conscience de lui-même et qui veut construire quelque chose.

Eric MAURIN. C'est la division au sein des classes populaires qui rend cela possible. Il n'y a pas une classe populaire en général. Les jeunes hommes sans formation issus des classes populaires savent que leur avenir n'est plus celui de leurs pères, dans les métiers de l'industrie, mais dans les nouveaux emplois du commerce et des services. Ces nouveaux emplois sont beaucoup moins masculins que ceux de leurs pères, et il y a sans doute un désarroi proprement masculin dans la jeunesse des classes populaires aujourd'hui. S'il n'y a pas de prise de parole, c'est aussi qu'une prise de parole entrerait en contradiction avec les valeurs désormais dominantes. Dans l'économie de service, on valorise la capacité à se singulariser et à épouser les singularités locales du client. Les valeurs auxquelles sont sommés d'adhérer les jeunes entrants sur le marché du travail sont celles de la réussite par la singularité individuelle. Ces valeurs sont antinomiques de celles qui pourraient donner du ciment à une parole collective.

Emmanuel TODD. Quand j'ai vu des voitures brûler, j'étais agacé. Quand j'ai vu des autobus brûler, j'ai commencé à être franchement énervé. Quand j'ai vu des maternelles brûler, j'ai commencé à déprimer. Pour autant, la référence aux Misérables montre le risque d'en revenir aux thématiques du XIXe siècle, de passer de la notion de révolte à celle de délinquance, de voir les classes laborieuses comme des classes dangereuses. J'y vois la régression de notre univers mental. On essaie de transformer les victimes en coupables sociaux. Pour ma part, des événements de ces dernières semaines, j'ai surtout retenu des jeunes qui, loin d'être privés de parole, activaient fortement le principe de liberté et d'égalité et réagissaient d'abord à une agression verbale du ministre de l'Intérieur qui les avait insultés, se comportant lui-même comme un voyou de banlieue. Nous ne sommes pas ici dans un cas de nihilisme, d'irrationalité ou de violence gratuite. Au reste, face à ce mouvement, un gouvernement de droite a plié : les subventions en faveur des associations de quartier ont été rétablies, la politique du tout sécuritaire est en cours d'abandon ­ en tout cas, je l'espère. Tout cela pourra être décrit comme un phénomène cohérent du point de vue historique.

Pierre ROSANVALLON. Ce que l'on appelle les banlieues, c'est le territoire sur lequel se cumule tout un ensemble de dysfonctionnements et de problèmes. Il ne faut pas oublier qu'en même temps que cette grande rébellion dans les banlieues, il existe des conflits extrêmement classiques : le conflit des traminots de Marseille ou celui de la SNCM [Société nationale Corse-Méditerrannée, ndlr]. Le problème de la société française est qu'elle est prise entre ses archaïsmes et les implosions de la société contemporaine. Ce qui n'est pas le cas dans de nombreux autres pays. Il existe, à cet égard, un véritable problème de corps intermédiaires. La France se trouve entre des systèmes de représentation archaïques qui ne fonctionnent plus et une absence de systèmes de représentation modernes. Ce qui se traduit à la fois par la montée du Front national et par les conflits à l'ancienne. Tel est le malaise français.

Emmanuel TODD. Il y a un «effet Nouvelle-Orléans». La situation des jeunes issus de l'immigration fait partie du problème, évidemment. Toutefois, si l'on reste à l'intérieur du cadre d'analyse français, je crains que l'on ne voie pas tout ce que la situation actuelle doit à la culture française. Le département de la Seine-Saint-Denis est un lieu chargé d'histoire. Il abrite la basilique avec le tombeau des rois de France. C'est le coeur du Parti communiste, etc. Or l'on ne voit que des gosses bronzés. Dans d'autres pays, les Arabes et les Noirs se caillasseraient les uns les autres. En France, ils sont ensemble pour caillasser la police. Bien entendu, il est question de déstructuration du milieu, de chômage, d'échec scolaire ou d'explosion de la famille maghrébine ou africaine. Mais les valeurs françaises sont là. Ce mouvement est très français. Il est au coeur de la culture française.

Eric MAURIN. Oui, cependant il faut rappeler que l'échec scolaire précoce est lui-même un phénomène très français. Nous sommes l'un des rares pays en Europe à avoir gardé le redoublement au primaire et au collège comme principal outil de gestion de la diversité des élèves. Quiconque travaille avec des spécialistes étrangers est frappé par ceci : l'institution scolaire française est, plus qu'ailleurs, une institution de tri.

Un nouveau symptôme de la crise française ?

Pierre ROSANVALLON. Les événements que nous venons de vivre s'inscrivent dans une longue série de thromboses françaises qui ne commencent pas en 2005 avec le non au référendum, ni même en 2002 avec le premier tour de l'élection présidentielle, mais bien avant. Les signes avant-coureurs ont été nombreux, dans les banlieues elles-mêmes, et aussi aux niveaux politique et social. Il faudrait ainsi inclure le mouvement de 1995 dans la compréhension de ces thromboses françaises, qui sont de nature différente et que l'on peut ranger en trois grands types : 1) des thromboses sociales, marquées par une sorte d'archéoradicalisme ; 2) des thromboses politiques liées à la non-réalisation de la promesse républicaine ; 3) des thromboses purement politiciennes affectant le système des placements entre partis et le problème du gouvernement représentatif. Il faut considérer ensemble ces trois types de problèmes. Or, depuis une dizaine d'années, on avance que toutes les difficultés proviennent de l'écart croissant entre le peuple et les élites. Il me semble que ce qui se passe aujourd'hui montre que cette analyse n'est pas pertinente. L'opposition peuple/élite est une façon paresseuse, lointaine et grossière, d'appréhender ce qui se passe. L'idée qu'il existe une coupure sociale est fondamentale. Néanmoins, l'événement vient de plus loin, du modèle politique français et du modèle économique également ­ au sens le plus général du terme, la façon d'organiser la production.

ERIC MAURIN. La spécificité du vote du premier tour de l'élection présidentielle du 21 avril 2002 fut d'être un vote très dur, souvent extrême, non pas du salariat le plus modeste mais d'une frange relativement qualifiée du salariat modeste (contremaîtres, ouvriers qualifiés de l'industrie, techniciens). Pour moi, ce vote était l'expression de menaces très radicales pesant sur cette fraction menacée dans ses statuts par la désindustrialisation. Le référendum sur la Constitution européenne s'est inscrit un peu dans cette continuité. Une des différences entre Maastricht et le traité constitutionnel, c'est ainsi que des fractions relativement modestes des classes moyennes du privé n'ont pas suivi la droite parlementaire, initiatrice du référendum sur la Constitution, et ont voté contre leur famille naturelle. De ce point de vue, ce sont bien les classes moyennes du privé qui, manquant à l'appel, ont rendu le non du référendum si fort. Aujourd'hui, il n'existe pas un seul salariat modeste, une seule classe moyenne, mais plusieurs, confrontés à des menaces et à des univers différents. La classe ouvrière, autrefois dominante, perd du terrain au regard d'un nouveau prolétariat des services, complètement éclaté, peinant à trouver son identité professionnelle. Les seuls débouchés pour les jeunes sans formation des milieux populaires sont désormais dans ce prolétariat. A mon sens, la crise des banlieues fait aussi émerger sur la scène politique le problème de la désocialisation croissante du salariat modeste.

Emmanuel TODD. Je suis, moi aussi, dans l'hypothèse d'une continuité de plusieurs processus négatifs. A chaque fois, ce sont des groupes sociaux différents qui sont le vecteur principal ou le porteur de la crise. Dans le vote Front national de 2002, ce sont plutôt les milieux populaires. Là où les ouvriers américains partiraient au chômage en se sentant coupables, les ouvriers français continuent de voter, en apportant leurs voix au Front national. En 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne, c'est le secteur d'Etat qui a été porteur du non, avec l'affirmation de la doctrine obsessionnelle du «servicepublisme», qui marque la volonté des classes moyennes liées à l'Etat de se défendre en bloquant la construction d'un embryon d'Etat européen sur la base de valeurs qui ne sont plus égalitaires. Il s'agit de défendre une position ultra protectionniste pour soi-même. La révolte des banlieues introduit un troisième groupe : celui des jeunes immigrés. Il existe un capitalisme globalisé qui produit partout une montée des inégalités. Dans chaque pays, la cible principale sera le segment le plus faible de la population. En France, ce sont les habitants des quartiers en difficulté et plus encore leurs enfants. Pour ce qui est des phénomènes d'écrasement des jeunes générations, rien ne permet d'imaginer un apaisement de la tension. Avec la globalisation et la montée en puissance de la Chine et de l'Inde, la pression sur les jeunes d'origine immigrée et sur les milieux populaires français ne fera que s'accentuer. Au reste, d'après ce que l'on peut savoir de l'origine des interpellés lors des incidents récents, j'ai l'impression que le mécanisme de division ethnique s'atténue déjà au niveau de la jeunesse des milieux populaires, du moins dans certaines régions.

Jean-Pierre LE GOFF. Le modèle républicain implique un modèle idéal d'égalité et de citoyenneté qui ne coïncide jamais complètement avec les faits, mais ce caractère d'idéalité lui confère sa dynamique et il a su, au cours de l'histoire, passer des compromis. Ce modèle s'appuie sur une certaine morale du travail, sur une culture commune liée à notre histoire, sur l'idée de promotion sociale... Ces points clés sont en panne. La question est de savoir comment les relancer plutôt que de dire que notre modèle a échoué et de passer rapidement à un autre modèle de type anglo-saxon, qui n'a pas d'ancrage solide dans notre tradition et qui montre aussi ses limites. Concernant les élites, je ne vois pas en quoi c'est être populiste que de constater l'écart existant entre le peuple et les élites : cet écart est devenu un véritable divorce. Les élites de l'après-guerre étaient issues de la Résistance. Dans leur parcours de vie et leur parcours professionnel, elles étaient amenées à rencontrer d'autres catégories sociales. Il faut s'interroger sur ce qu'il advient aujourd'hui dans les domaines de la formation, de l'habitat. On a affaire à un cloisonnement social fort, et l'idée d'éducation populaire retrouve aujourd'hui toute son importance.

La fin du modèle républicain ?

Pierre ROSANVALLON. L'histoire du XIXe siècle est celle de l'intégration des campagnes, des territoires et des classes ouvrières. On fait des paysans des Français. On fait de l'ouvrier désocialisé un membre de la classe ouvrière qui fait la guerre de 1914. Aujourd'hui, la société française paie très cher le fait qu'elle a absolument raté la décolonisation. Nous payons, quarante ans après, le fait qu'il y a eu des sous-citoyens. En Algérie, il y avait les citoyens indigènes et les citoyens nationaux. La question de l'appartenance citoyenne n'a pas été réglée par les textes. Ce n'est pas simplement l'idéologie égalitaire juridique qui permet de la régler. La République n'a pas intégré la classe ouvrière juste avec le bulletin de vote, mais aussi avec l'Etat providence, l'armée ou certains événements fondateurs. Il ne suffit pas de dire que les gens issus de l'immigration ont le droit de vote. Les formes nécessaires de reconnaissance, d'intégration et de prises de pouvoir n'existent pas. Il y a un échec historique de long terme de la société française, qui a été masqué par l'idéologie républicaine et qui nous explose aujourd'hui au visage. Or, on constate le retour en force de deux grandes idéologies : l'idéologie autoritaire et l'idéologie républicaine. Pour cette dernière, le droit peut et suffit à tout produire : obligeons tous les sujets de droit à reconnaître qu'ils sont des sujets de fait. Il faut commencer par critiquer sévèrement ce retour de l'idéologie autoritaire et ce développement du républicanisme abstrait.

Emmanuel TODD. Les valeurs de fond sont toujours là. Le fond culturel aussi. Cela pourrait marcher. Même les élites et la police sont restées correctes vis-à-vis des émeutiers, qui ont été considérés comme des enfants de notre pays. Il serait relativement aisé de réactiver le vieux système français. Toutefois, la France n'est plus à l'échelle des processus économiques, même si, le plus souvent, on refuse de le voir. Si l'on veut changer les règles, il faut changer d'échelle. La France ne peut pas sortir toute seule de la globalisation. Le moulin à prières républicain tourne à vide. Le modèle républicain est devenu idéologie dominante. Les hommes politiques n'osent plus dire que l'on ne peut plus trouver de solutions économiques à l'échelle du pays et le mot république est, le plus souvent, devenu un mot codé pour nation. Les élites de la nation laissent beau jeu au rêve régressif républicain en refusant de concevoir à l'échelle européenne les instruments de régulation du libéralisme. En somme, malgré leur opposition, le dogme républicain et le dogme libéral commencent à fonctionner comme un couple qui agirait de concert pour entériner le statu quo.

Eric MAURIN. Je ne suis pas d'accord. Une partie des problèmes est spécifique à la France et pourrait être réglée par les politiques nationales. Les inégalités de statut dans l'emploi, par exemple, sont particulièrement fortes en France. L'essentiel de l'ajustement de l'emploi porte sur l'insertion des jeunes au sortir de l'école. La société française est organisée autour d'inégalités statutaires, tout en arborant le langage de l'égalité. Cette donnée est spécifique à notre équation nationale et pourrait évoluer. Les éléments du malaise français n'ont pas tous à voir avec la mondialisation.

Jean-Pierre LE GOFF. La perte de volonté politique sur l'économie est un facteur important de la coupure avec les couches populaires. Les politiques donnent à l'opinion l'image d'une impuissance fondamentale. On a vu, avec les régimes communistes, les méfaits de l'économie administrée. Néanmoins, par un curieux renversement, beaucoup se sont mis à croire aux bienfaits mécaniques de la mondialisation et du libre-échangisme. Pour ma part, je suis favorable à un néoprotectionnisme européen renforcé. Les Etats-Unis n'ont aucun scrupule en la matière. Les politiques ont tenu en même temps des discours incohérents et en divorce avec la pratique. Je pense à François Mitterrand et à son tournant non assumé de la politique économique en 1983 : «Nous avons changé de politique sans en changer vraiment.» Je pense à Jacques Chirac, qui s'est fait élire sur le thème de la «fracture sociale». «Langue de caoutchouc» et pouvoir informe sont des éléments clés du désarroi de la société. Si Nicolas Sarkozy a du succès dans l'opinion, c'est parce qu'avec la façon qu'on lui connaît, il donne l'image d'un homme politique qui tient un discours fort et cohérent. En même temps, il est en train de faire glisser le modèle républicain vers autre chose, à l'encontre de la culture politique française. Avec la discrimination positive envers les minorités «visibles», il ouvre la boîte de Pandore en aggravant la généralisation de la suspicion de discrimination et de racisme dans les rapports sociaux, l'hypertrophie des plaintes et des droits. C'est du pain bénit pour l'extrême droite.

Pierre ROSANVALLON. Si l'idée républicaine peut devenir une réalité quotidienne, oui. Cependant, il ne faut pas que l'idéologie soit un frein à la pratique. La décision de Sciences-Po de recruter des élèves dans les ZEP ne concerne qu'une dizaine d'étudiants. Elle a pourtant donné lieu à un flot de réflexions théoriques hors de proportions. En France, une théorie générale de la République empêche des mini-expériences pratiques. Aujourd'hui, la République ne fonctionne pas comme une incitation à imaginer des pratiques courageuses, mais comme une espèce d'idéologie disqualifiante et qui est une excuse pour ne pas agir.

Eric MAURIN. Il y a des discriminations une fois que les personnes sont constituées. Mais il y a surtout des inégalités dans les processus de constitution des personnes. En France, les tentatives pour réduire ces inégalités de fond (comme les ZEP) sont aujourd'hui remises en question comme n'ayant pas porté leurs fruits, alors qu'elles n'ont, en fait, pas été appliquées. L'enveloppe globale destinée aux ZEP est relativement faible. Une fois saupoudré sur 15 % des élèves, le surcroît d'effort éducatif par élève devient dérisoire. Sans compter que ce sont les enseignants les moins expérimentés qui se retrouvent le plus souvent en première ligne. Aux Pays-Bas, une école n'est pas aidée en fonction de son territoire, mais du public qui, effectivement, la fréquente, et le surcroît d'effort par enfant d'immigré va du simple au double. Nous avons du mal à passer à l'acte.

Emmanuel TODD. Il faut faire attention aux comparaisons internationales. Les Pays-Bas sont très inquiets de constater que les enfants d'immigrés ne parlent pas néerlandais. Toute situation n'est pas comparable. Il faut traiter les problèmes français de façon ouverte en quittant le rêve de se débarrasser de la culture française.

Eric MAURIN. Je n'ai pas le sentiment de quitter le rêve de la culture française en suggérant, par exemple, de conditionner les ressources des écoles au nombre d'enfants exemptés de payer la cantine.

Jean-Pierre LE GOFF. La question de la discrimination positive dans le domaine économico-social et scolaire mérite débat. Faisons attention aux effets de ghettoïsation. Tirons les leçons des ZEP. Il ne suffit pas de donner de l'argent, il faut trouver des formes nouvelles de rencontre entre les différentes catégories sociales. Mais avec la formule des «minorités visibles», on est en train de passer à une autre approche : la discrimination positive selon l'ethnie ou la couleur de peau ! Enfin, concernant l'Europe et la nation, je pense que l'Europe ne fonctionne pas comme un cadre d'identification, en particulier dans les banlieues. La gauche a trop rapidement mis de côté la question nationale et celle de l'articulation entre l'Europe et la nation. Je crois à une Europe où les nations restent un socle premier d'identification.

Pierre ROSANVALLON. Il existe un fort décalage structurel entre les idéologies et les pratiques politiques, sociales et économiques, qui, seules, apporteront des solutions. En dix ans, 50 milliards d'euros ont été dépensés dans les zones urbaines sensibles, une somme absolument considérable, mais qui a été dépensée pour des structures, jamais pour des programmes et des personnes. Si l'on donnait à 100 lycées ou collèges des enveloppes permettant de retenir les meilleurs moyens, on aurait peut-être des résultats différents. Je crois qu'il n'existe pas de solutions identiques et générales. A investissement égal, les politiques de la ville en France ont produit moins d'effets qu'aux Etats-Unis, où il y a eu plus d'investissements sur des projets et des petites expériences locales. L'exemple des banlieues montre que les grandes réformes uniformisatrices et gérées du sommet ne permettent pas de trouver des solutions. Il faut favoriser des moyens décentralisés, mis en oeuvre par les acteurs eux-mêmes, recréer des pôles de prise de parole et d'initiative. Combien d'associations de mères sont-elles aujourd'hui subventionnées ? Combien de crèches associatives existent dans les quartiers ? Ce n'est pas la surimpression d'un Etat plus puissant face à un individu désocialisé qui sera la solution. Nous avons là l'exemple le plus criant d'une mauvaise gestion d'un certain type de services publics.

Jean-Pierre LE GOFF. Le problème initial est celui de l'impuissance des politiques face à l'économique. Cela fait trente ans que nous sommes dans une situation de chômage de masse. Le problème n'est pas simplement économique et social. Dans sa dimension anthropologique, le travail est l'une des conditions indispensables pour retrouver l'estime de soi : il est un élément décisif de confrontation avec le réel, de l'apprentissage de la limite. Le discours généreux de la citoyenneté coupée du travail est une impasse. Les associations dites citoyennes sont devenues des accompagnatrices sociales du chômage de masse.

Pierre ROSANVALLON. La gauche a été internationaliste pendant plus d'un siècle, par définition. Dans les années 80, elle a ressenti le moment de redonner une importance à l'idée de nation. Toutefois, il ne faudrait pas que le mot nation devienne le seul horizon producteur d'intégration, de citoyenneté et d'égalité. Le problème de la France n'est tout de même pas d'être trop multiculturelle et d'avoir des victimes au pouvoir ! Ne projetons pas ce qui pourrait devenir des dangers sur ce qui serait déjà une réalité catastrophique.

Jean-Pierre LE GOFF. La question de l'érosion de l'autorité de la puissance publique n'est pas simplement un danger à venir, mais elle est bien là depuis trente ans ! Une partie de la gauche s'est convertie au multiculturalisme de façon angélique, sans en mesurer les effets, et il existe bien dans la société un climat délétère de victimisation qui est allé de pair avec l'impuissance compassionnelle de l'Etat. On peut critiquer les faiblesses du modèle républicain, mais n'oublions pas qu'à sa façon Sarkozy en amène un autre dont les effets ne peuvent, à mon sens, que renforcer le délitement du lien de citoyenneté. Le danger principal de Nicolas Sarkozy est qu'il tente de faire passer un modèle de vivre-ensemble qui heurte profondément la tradition républicaine de la société française, notamment avec la question des minorités visibles.

Sarkozy, sauveur ou fauteur de troubles ?

Emmanuel TODD. La question du rapport à l'autorité m'a beaucoup intéressé ces derniers temps. Si l'on s'intéresse au facteur déclenchant de la crise, le personnage de Nicolas Sarkozy a cessé d'être une image d'autorité. Le ministre de l'Intérieur a commis l'erreur de se mettre dans le groupe générationnel de ses interlocuteurs. Il est devenu, dans l'inconscient collectif des jeunes, le «voyou de Neuilly», agité plutôt que de droite. La première chose que l'on apprend aux professeurs qui vont enseigner dans ces banlieues est de ne jamais se mettre au niveau générationnel de leurs élèves. Par ailleurs, Sarkozy ne voit pas que les choix politiques et économiques doivent composer avec des tendances du fond anthropologique français. Il finira bien par découvrir que l'on ne peut pas gouverner la France contre ses valeurs.
Eric MAURIN. Nicolas Sarkozy a fait une lecture des classes moyennes et populaires en prenant le parti d'incarner certaines fractions et certaines colères, celles qui se sont exprimées le 21 avril et lors du référendum. Le parti pris n'est pas celui de la réconciliation. Les divisions traversent les quartiers et les familles dans les quartiers. Nicolas Sarkozy mise sur la fraction des classes populaires menacée dans ses statuts et qui veut davantage de sécurité.

Emmanuel TODD. J'ai le sentiment que les éditorialistes et les directeurs de grands médias surestiment énormément le degré de cohérence du projet du ministre de l'Intérieur. Il s'est mis au niveau de ses interlocuteurs, ne l'oublions pas. Si je cherchais du sens social à Nicolas Sarkozy, je le chercherais dans sa personnalité narcissique et exhibitionniste.
Pierre ROSANVALLON. Les plus audibles, dans les débats d'aujourd'hui, sont les chefs de file des grandes idéologies : l'idéologie néolibérale, l'idéologie autoritaire et l'idéologie républicaine. Ce sont les champions du slogan et du schématisme. Or les «y a qu'à» ne suffiront pas.
Jean-Pierre LE GOFF. Il faut tirer les leçons de ce qui s'est passé dans les années 80 avec la politique de la ville et des associations, avec sa logomachie, ses procédures insipides, son aspect guichet pour les subventions... Les associations jouent un rôle de traitement social du chômage, recréent des liens de solidarité, luttent contre l'échec scolaire, font vivre des quartiers... Ce n'est pas rien. Mais disons-le clairement : la politique de la ville, avec son tissu associatif, n'est pas la politique de l'emploi et ne peut lui servir de succédané. Il existe d'autre part une idéologie gauchisante minoritaire au sein du milieu associatif qui réduit l'histoire de notre pays à ses pages les plus sombres et renforce la mentalité victimaire des jeunes en présentant leur situation dans la continuité de celles faites aux esclaves et aux peuples colonisés. Cette idéologie travaille à l'encontre de l'intégration. La gauche démocratique doit s'en démarquer clairement. Sans nier les pages sombres de notre histoire, l'intégration implique la conscience des acquis de notre histoire et le partage d'un patrimoine culturel commun. C'est dans ce cadre que l'éducation populaire peut retrouver un nouveau souffle.

Pierre ROSANVALLON. La question n'est pas simplement celle de l'exclusion. La société française est un système généralisé d'inégalités. Elle fonctionne de façon globale à travers des mécanismes très fins et complètement disséminés de ségrégation et d'institution des différences ­ y compris du point de vue scolaire et universitaire. Il n'y a qu'en France qu'existe encore le système des grandes écoles hiérarchisées, par exemple. La question des banlieues se pose à l'intérieur de cette société de la différence, de la ségrégation et de l'inégalité généralisée.

Eric MAURIN. Nous sommes passés progressivement d'un monde industriel à une économie de services. Cette évolution a des conséquences profondes sur les relations que les classes sociales entretiennent entre elles. Les différentes fractions de classes sociales coexistaient et négociaient sur les lieux de travail. Aujourd'hui, dans l'économie de services, chaque fraction de classe sociale travaille sur des lieux différents, entretenant avec les autres des rapports médiatisés par le seul marché. Nous sommes passés d'une exogamie sur le lieu de travail à un monde où toutes les tensions endogamiques sont libérées. Cela me semble un facteur de fragmentation sociale beaucoup plus puissant que la piste de lecture que l'on essaie d'imposer : celle de la discrimination raciale ou ethnique. Il n'y a pas de discrimination raciale ou ethnique à l'école. Ce n'est pas la discrimination qui explique la disqualification massive des enfants de milieux pauvres.

Pierre ROSANVALLON. Il y a quand même de la discrimination dans l'emploi et dans l'habitat.

Eric MAURIN. La discrimination initiale reste avant tout économique. L'exemple emblématique de lutte antidiscrimination est aujourd'hui la discrimination positive pour l'entrée à Sciences-Po. Cette initiative est sans doute sympathique, mais valide implicitement l'hypothèse que l'entrée dans les grandes écoles est interdite aux enfants d'immigrés parce qu'ils ne sont pas blancs. C'est faux, le problème numéro un est ailleurs, c'est la pauvreté. Qui, parmi les enfants de milieux populaires ayant eu une mention au bac à Roubaix, peut financer des études à Sciences-Po à Paris ? Les enfants des classes populaires de Roubaix n'ont pas les moyens de venir étudier à Paris, ni ceux de répondre à armes égales avec les enfants de la bourgeoisie parisienne à une épreuve de culture générale au concours d'entrée à Sciences-Po.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=339848

04 novembre 2005

A propos des "matériaux"

J'ai mis en ligne mes nouveaux matériaux de recherche afin d'expliciter ma démarche. J'ai beaucoup travaillé ma méthodologie depuis quelques semaines et j'ai, à ma plus grande joie, retrouvé le temps de lire. En parcourant, le WE dernier, quelques sites intéressants, je suis tombé, sans doute par hasard, sur la bonne strate.

Le traitement réservé par les grands quotidiens nationaux aux problèmes des banlieues est assez symptomatique de l'évolution du vocabulaire utilisé pour caractériser/évoquer/relater les grands ensembles d'habitat social.

Le corpus mobilisé dans le cadre de ma recherche est en perpétuel évolution. J'ai de plus en plus recours à la sociologie (des médias notamment) et à la linguistique.

Je suis toujours plongé dans mes lectures (Bourdieu et Donzelot cette semaine), et dans les revues de presse.

Revue de presse (Libération)

Société

Banlieue, les violences gagnent la province :
Plus d'un quart des véhicules incendiés dans la nuit de vendredi à samedi l'ont été en province. La région parisienne a connu une neuvième nuit de troubles urbains.

Par AFP
samedi 05 novembre 2005 (Liberation.fr - 09:06)


Sept cent cinquante quatre véhicules incendiés, dont un quart en province, 203 personnes interpellées, des bâtiments commerciaux et publics détruits ou endommagés : la région parisienne, rejointe par la province, a connu une neuvième nuit de violences urbaines malgré la volonté de dialogue affichée par le gouvernement.

Les incidents ont repris en région parisienne, survolée pour la première fois par un hélicoptère de surveillance de la police, quelques heures après que Dominique de Villepin eut reçu à Matignon seize jeunes de 18 à 25 ans issus de quartiers sensibles pour évoquer avec eux les difficultés des banlieues et les solutions à y apporter.

Cette rencontre, vendredi en début de soirée à Matignon, s'inscrivait dans le cadre des consultations lancées par le chef du gouvernement en raison de la crise dans les banlieues et qui doivent préparer la mise en place, d'ici à la fin novembre, d'un "plan d'action" en faveur des zones urbaines sensibles.

De son côté, le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a effectué samedi peu avant 01h00 une courte visite-surprise à la direction départementale de la sécurité publique des Yvelines à Viroflay, près de Versailles.

Dans un communiqué, le Parti socialiste a assuré que le "bilan des violences atteint des proportions gravissimes en Ile-de-France et dans toute la France" et a demandé "la transparence la plus totale sur l'ampleur de ces événements dramatiques".

Samedi à 05H00, les forces de l'ordre avaient comptabilisé 754 véhicules incendiés, dont un quart en province, et 203 personnes interpellées, un chiffre en forte hausse, a-t-on appris de source policière. Parmi les voitures incendiées, 563 l'ont été en Ile-de-France et 191 en province, où le phénomène, apparu la veille, prend de l'ampleur. Dans la nuit de jeudi à vendredi, 519 voitures avaient été incendiées en région parisienne et 77 en province. La part de la Seine-Saint-Denis reste stable (132 voitures contre 123 la veille).

Ce phénomène de "diffusion" est aussi perceptible dans le Val d'Oise où les zones de la compétence de la gendarmerie ont été concernées alors que ce n'était pratiquement pas le cas la veille. Les forces de l'ordre ont réalisé beaucoup plus d'interpellations de fauteurs de troubles présumés que la veille (203 contre 78). Il s'agissait d'une priorité d'action fixée aux policiers. Aucun affrontement n'a en revanche été relevé, ce qui confirme la stratégie d'évitement de la confrontation avec les forces de l'ordre adoptée depuis la nuit précédente par les fauteurs de troubles.

Parmi les incidents recensés, figurent l'incendie d'une école maternelle d'Achères (Yvelines) et celui du collège Jean-Monet de Torcy (Seine-et-Marne), à moitié détruit. A Meaux (Seine-et-Marne) un véhicule des sapeurs-pompiers a été détruit, tandis qu'à Champigny (Val-de-Marne), un bus a été vidé de ses occupants et incendié. Un engin incendiaire a par ailleurs été lancé sur la façade du commissariat de Saint-Denis. A Suresnes (Hauts-de-Seine), un incendie s'est propagé de véhicule en véhicule dans un parking souterrain, entraînant la destruction de 36 voitures.

A Clamart, selon une source policière, un enfant de dix ans a été interpellé avec une bouteille d'essence dans les mains tandis que dans le même département, à Boulogne, la police a arrêté un fauteur de trouble qui aurait aspergé quinze véhicules légers. En Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers deux entrepôts de textiles ont été la cible d'incendies, et à Pierrefitte-sur-Seine un engin incendiaire a été lancé "sur le mur d'une synagogue". Toujours à Pierrefitte, plus d'une centaine de personnes ont été évacuées pendant la nuit après le déclenchement d'un incendie dans un parking souterrain sous leurs immeubles.

Dans l'Essonne, un policier a été blessé par deux pavés dans le quartier de Coquibus, proche de la cité sensible des Tarterêts de Corbeil-Essonnes où une concession Opel et un dépôt de pneus, ont été incendiés. La mairie de Saint-Michel-sur-Orge a été ravagée en partie par un incendie tandis qu'une école maternelle et primaire à Brétigny-sur-Orge a été détruite en partie.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=336259


Evénement

Banlieues. Stéphane Gatignon, maire de Sevran, raconte son quotidien d'élu en première ligne :«Le maire est leur dernier recours»
Par Jacky DURAND vendredi 04 novembre 2005

Stéphane Gatignon est, à 36 ans, un des plus jeunes maires de France. La commune qu'il dirige depuis 2001, Sevran, 50 000 habitants, en Seine-Saint-Denis, est une des plus pauvres d'Ile-de-France. Elle arrive 57e au palmarès des villes en difficulté financière : 1 600 Rmistes, 4 600 chômeurs (17 % de la population active), un taux de chômage qui atteint 30 % dans certains quartiers. Historien de formation, membre du PCF, Stéphane Gatignon a grandi «sur la dalle d'Argenteuil», là où Nicolas Sarkozy a effectué récemment une visite mouvementée. Il raconte pour Libération son quotidien d'élu en première ligne dans la bataille de la banlieue.
«La police nationale se retire.» «Je suis ici pour recréer du lien social, dans une ville qui est une des plus pauvres d'Ile-de-France et où l'aménagement du territoire est une catastrophe. A Sevran, les cités tournent le dos à l'habitat individuel. Il faut imaginer un projet commun à partir de tous ces destins de vie qui composent la ville. Comment vivre dignement dans une cité ? On est à fond dans le travail de renouvellement urbain. C'est compliqué, car il faut retisser des liens sociaux en pensant à la fois l'emploi, le logement et l'accompagnement social. Il ne suffit pas de transformer une cage à poules de quinze étages en une cage à poules de trois étages... Ce qui nous manque le plus, c'est l'argent, le financement. Il n'y a jamais eu autant d'inégalités entre collectivités locales. Tous les citoyens ne sont pas égaux en matière de tranquillité publique. A Sevran, nous avions 120 policiers en 2001. Nous n'en avons aujourd'hui plus que 80, à cause du désengagement de l'Etat. Aujourd'hui, la police nationale se retire des villes, et ce sont les polices municipales qui assurent de plus en plus la sécurité du citoyen. A Sevran, nous ne disposons que d'une dizaine de gardes urbains, qui surveillent les parcs et jardins. Avec quel argent pourrais-je créer une police municipale ?
«On chasse la subvention.» «Autre exemple, le budget de la commune : à Sevran, il n'y a presque plus d'entreprises, donc peu de taxe professionnelle, 23 millions d'euros par an. C'est ridicule alors que, aux alentours, certaines villes disposent de 400 millions ! En matière de financements gouvernementaux, il y a beaucoup de discours, mais peu de suites. Si le gouvernement met 50 euros dans un projet qui en vaut 100, il faut que la commune puisse mettre les 50 autres. Seules les villes qui en ont les moyens peuvent le faire. On est sans cesse en train de chasser la subvention, de hausser le ton chez le préfet pour grappiller un peu d'argent. Il faudrait une vraie réforme des finances locales, pour que l'argent soit distribué de façon équitable, commune par commune. On saucissonne tout en matière de politique de la ville. Vous devez prendre en compte vingt-cinq dispositifs différents pour conduire des projets. A chaque gouvernement, on change de dispositif, on en rajoute. L'idée de Borloo de créer un guichet unique était bonne...
«Un peu assistante sociale». «Tous les lundis après-midi, je reçois entre sept et treize personnes à ma permanence. Souvent, pour eux, le maire est le dernier recours. J'écoute et je vois de véritables drames humains. Une femme seule avec enfants qui vient me voir parce qu'elle ne trouve pas de logement. Les bailleurs sont réticents à louer à des foyers monoparentaux, parce qu'ils ont peur des loyers impayés. Sur ma commune, il y a plus de mille familles qui cherchent un logement. Certains vivent à plusieurs sous le même toit. Quand ils viennent me voir, les gens ont besoin d'écoute, de parler. Ils vous confient leur vie. Faute de projet politique global, ils se rattachent à l'élu qui leur donne le sentiment de se battre. On fait un peu assistante sociale, un peu psychologue. Mais on ne peut satisfaire leur demande que dans un cas sur dix. Même si on n'a pas de réponse, il faut leur redonner confiance.
«Cinquante voitures ont brûlé». «Aujourd'hui, il faut rétablir la confiance, et pas seulement avec les jeunes mais avec tous les habitants des quartiers. Cette nuit, j'ai vu un gars dont le camion venait d'être incendié. Aujourd'hui, il est au chômage. Ce ne sont pas les gens de Neuilly dont on crame les bagnoles, ce sont les voisins, parfois les amis des gamins qui mettent le feu. Depuis lundi, cinquante voitures et camions ont brûlé à Sevran. On venait de commencer à renégocier la sinistrabilité de la commune avec les assureurs. On voulait faire baisser notre franchise qui est de 90 000 euros, parce que nous avions connu moins de dégradations depuis 2003. Aujourd'hui, c'est foutu. Ces dernières nuits, on a des équipes d'agents municipaux et de bénévoles qui tournent sur la commune avec des extincteurs pour éteindre les débuts d'incendie. Dans la nuit de mercredi à jeudi, on a vidé quinze extincteurs ! La nuit précédente, on a réussi à arrêter un départ de feu dans une école. Aujourd'hui, il faut sauver les meubles, c'est-à-dire les écoles. Une école qui brûle, ce sont des gamins des cités à la rue. Cette nuit encore, ça risque de repartir. Ce qui est positif, c'est qu'on voit maintenant des adultes descendre dans la rue pour leur dire : "Arrêtez !"»
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335993

Evénement
Banlieues. Editorial Deux erreurs
Par Patrick SABATIER vendredi 04 novembre 2005

On peut sourire des gros titres des médias étrangers sur une France aux prises avec une «Intifada du 9-3». Et dénoncer les boutefeux d'extrême droite qui crient à la «guerre civile». Les violences en Ile-de-France ont pris une forme de guérilla urbaine, mais ne relèvent pour l'heure que du maintien de l'ordre. Elles sont le fait de petites minorités de jeunes, voire très jeunes «casseurs» sans autre stratégie que de répondre à Sarkozy. Pour intolérables qu'elles soient, leurs violences ne sont pour partie que la manifestation d'un mal-être nourri d'exclusion, d'injustices et de misère. Même si certains d'entre eux peuvent être manipulés.
Il y a, face à cette situation, deux erreurs dont on espère que le gouvernement Villepin, confronté à sa première crise grave, ne les commettra pas.
La première serait d'entrer dans l'escalade de la violence, à laquelle certains ont intérêt ­ des caïds protégeant leurs trafics aux islamistes en mal de chair à jihad, sans oublier les hérauts de l'extrême droite raciste. Une répression, aveugle et désordonnée, ne ferait que donner une aura de rébellion à ce qui n'est encore qu'une manifestation de ras-le-bol contre des injustices, réelles ou imaginées.
La seconde erreur serait pour l'Etat de déserter un terrain, qu'il a lui-même miné par son (in)action et ses maladresses, et de laisser pourrir une situation qui l'est déjà assez. A l'heure où sifflent des balles et où brûlent des écoles, force doit rester à la loi. On ne doit pas abandonner des zones entières à une violence minoritaire qui pourrit d'abord la vie des habitants des cités. Non plus qu'à l'autorité d'instances, «communautaires» ou religieuses, au détriment de l'action courageuse de ceux, maires, médiateurs et associatifs, qui tentent, en première ligne, d'y faire vivre le pacte républicain. C'est eux que l'Etat doit appuyer, en leur donnant les moyens, d'abord financiers, de faire régner l'ordre, si on veut qu'il soit durable.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335992

Evénement
Banlieues Clichy s'apaise, la Seine-Saint-Denis s'enflamme toujours Des tirs à balles réelles ont été signalés hier à La Courneuve, Noisy-le-Sec et Saint-Denis.
Par Karl LASKE vendredi 04 novembre 2005

La propagation est là. Encore difficile à interpréter. Une semaine après le début des émeutes à Clichy-sous-Bois, les incidents ont continué à s'étendre dans la nuit de mercredi à jeudi, en banlieue parisienne. Selon le député (UMP) Georges Tron, des «groupes extrêmement organisés» sont à l'oeuvre et les violences «n'ont plus aucun lien» avec la mort de Zyed et Bouna, électrocutés à Clichy-sous-Bois, après une course poursuite avec la police (lire page 6). Hier, les services de police comptabilisaient 315 voitures brûlées la nuit précédente, dont 177 en Seine-Saint-Denis. Des tirs à balles réelles ­ sans faire de victime ­ ont été signalés à La Courneuve, contre la BAC, à Noisy-le-Sec, en direction des pompiers, et à Saint-Denis, contre des policiers.
Tache d'huile. Paradoxalement, la situation semblait sous contrôle à Clichy-sous-Bois, après la réunion de concertation du maire, Claude Dilain, et de son équipe avec le ministre de l'Intérieur, mercredi. Les élus de Clichy-sous-Bois avaient obtenu la mise en place d'un dispositif policier «moins provoquant», ainsi que l'avaient exigé les médiateurs des quartiers. «Ici, les choses s'apaisent, enfin touchons du bois, par la mobilisation de tous», explique un cadre municipal qui juge l'effet tache d'huile «effrayant». «A Clichy, nous avons assisté à une volonté d'affrontement avec la police, mais pas une volonté de tout fracasser comme ça.» Aulnay a perdu un poste de police et une école. La ligne B du RER a été caillassée au Blanc-Mesnil, où un bus de la ligne 251 a été attaqué, puis incendié. «Le prétexte, c'est la solidarité avec Clichy. Mais maintenant c'est d'en découdre avec les forces de l'ordre, si ce n'est avec Sarkozy. Les jeunes disent : "On va voir s'il va passer le Kärcher..."» Après le caillassage de deux bus à Stains hier, le trafic était fortement pertubé dans la soirée dans tout le département.
A Bobigny, à la Maison des avocats, lors d'une conférence de presse organisée par plusieurs organisations professionnelles, dont le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France (SAF), on parlait d'une «stratégie de la tension» du ministre de l'Intérieur, tout en déplorant le «retrait de l'Etat en matière de politique de la ville» en Seine-Saint-Denis. «Les mineurs qui sont déférés ces derniers jours pour des actes de violence sur des fonctionnaires sont peu connus, voire inconnus des services de police», a remarqué l'ex-président du Syndicat de la magistrature Alain Vogelweith, juge des enfants en Seine-Saint-Denis.
Contentieux. «Il ne s'agit pas de tenir un discours antipolice, mais il y a une incompréhension totale entre les jeunes et la police, a souligné Charlotte Trabut, pour l'Association des magistrats de la jeunesse et de la famille. Le contentieux jeunes-police se constate dans les affaires d'outrage et de rébellion, qui représentent une part énorme des dossiers que nous traitons.» Face aux jeunes, les effectifs de police en Seine-Saint-Denis sont «particulièrement jeunes et inexpérimentés», ont relevé avocats et magistrats. «Chacun a peur de l'autre», a commenté Me Cecile Curt, pour la section locale du SAF.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335991

France
Au moins 150 voitures incendiées en Seine-Saint-Denis
vendredi 04 novembre 2005 (Reuters - 07:11)

PARIS - Au moins 150 voitures ont été incendiées en Seine-Saint-Denis dans la nuit de jeudi à vendredi, apprend-on de source policière, huit jours après la mort controversée de deux jeunes de Clichy-sous-Bois.
Au total, 1.300 policiers, gendarmes et CRS ont été déployés sur le terrain pour cette huitième nuit consécutive de violences.
Le bilan des voitures incendiées, qui était de 50 en début de soirée, a été multiplié au moins par trois dans les heures suivantes, a déclaré un porte-parole de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de Seine-Saint-Denis.
Par ailleurs, un incendie était en cours vers 03h00 dans un entrepôt de moquettes de 1.000 m2 dans le secteur de Garonor, sur la commune d'Aulnay-sous-bois, a-t-on appris auprès des pompiers. On ignore pour l'instant l'origine du sinistre.
En fin de soirée, la préfecture de Seine-Saint-Denis avait fait état de 41 feux de véhicules et 18 interpellations dans l'ensemble du département.
Des cars de CRS ont été la cible de tirs de pistolet à grenaille à Neuilly-sur-Marne.
"Le début de la soirée a été marqué par des incidents sporadiques essentiellement dans le nord du département sans qu'aucune confrontation directe avec les forces de l'ordre ne soit constatée", ont précisé les services de la préfecture.
Les violences se sont ensuite propagées vers le sud et l'est du département, notamment au Blanc-Mesnil où un entrepôt a été incendié et à Rosny-sous-Bois où un bus a brûlé.
A Aulnay-sous-Bois, où s'était concentrée une grande partie des violences mercredi soir, une voiture en feu a été projetée contre la "maison des associations".
Dans la nuit de mercredi à jeudi, 315 voitures avaient été incendiées en Région parisienne, dont près de la moitié en Seine-Saint-Denis. De plus, quatre tirs à balles réelles avaient été recensés dans ce département mercredi soir, notamment à La Courneuve et Noisy-le-Sec où policiers et pompiers ont été pris pour cible.
VILLEPIN ET SARKOZY "MAIN DANS LA MAIN"
Jeudi, Dominique de Villepin a présidé trois réunions sur l'explosion de violences dans les banlieues dans la journée et déjeuné avec le ministre de l'Intérieur. Devant les sénateurs, il a adopté un langage de fermeté.
"L'Etat républicain ne cédera pas. L'ordre et la justice dans notre pays auront le dernier mot", a déclaré le Premier ministre, qui a repris en mains le dossier des violences urbaines mardi.
"Notre devoir, à Dominique de Villepin comme à moi-même, c'est de travailler main dans la main, en totale confiance, en totale coordination", a déclaré Nicolas Sarkozy dans la soirée sur i-télé. "Il ne peut pas y avoir de divisions entre nous, et il n'y en aura pas parce que le problème est trop sérieux".
Le Parti socialiste a dénoncé le "bilan désastreux" du gouvernement après une semaine d'émeutes et réclamé un "débat national" pour "réorienter complètement" la politique en matière de lutte contre l'insécurité.
Selon les premiers résultats de l'enquête de l'Inspection générale des services, la "police des polices", et de la procédure judiciaire sur les événements de jeudi dernier, le groupe de trois jeunes qui était entré dans l'enceinte protégée d'EDF n'avaient pas été pris en chasse par les forces de l'ordre.
Le rapport préliminaire de l'IGS stipule également qu'un policier sur place avait signalé à sa hiérarchie le risque encouru par les adolescents s'ils parvenaient à entrer dans le transformateur.
Au vu de ces premiers éléments, le procureur de la République de Bobigny, Jacques Molins, a décidé d'ouvrir une information judiciaire contre X pour non assistance à personne en danger afin de déterminer si "toutes les dispositions de sécurité, de protection et de prévention" ont été prises ce soir-là.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=336038

Evénement
Banlieues Les élus sonnent l'alarme face a la violence Les maires de Seine-Saint-Denis, dépassés par la flambée de ces derniers jours, essaient de trouver des solutions. Exemple à Aulnay-sous-Bois.
Par Ludovic BLECHER vendredi 04 novembre 2005

Sébastien Malonga enrage. «Depuis quatre jours, la rue Edgar-Degas (où un poste de police a été saccagé mercredi soir, ndlr) est dans l'obscurité. Que la lumière ait été détériorée, c'est une chose. Mais on aurait pu la rétablir. Sans lumière, on ne peut même pas constater qui commet ces actes», s'emporte le président de la Confédération syndicale des familles, association implantée au coeur de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois. Puis, s'adressant au maire (UMP) de la ville, Gérard Gaudron : «A moins que vous ne nous laissiez dans le noir parce qu'on le mérite ?» La réponse fuse : «On ne casse pas les voitures parce qu'il n'y a pas d'éclairage, on casse l'éclairage pour casser les voitures. Si vous trouvez quelqu'un pour le remettre en état le soir dans un climat d'émeute, je suis preneur.»
L'échange témoigne du dialogue parfois difficile entre municipalités et acteurs de terrain. Il démontre surtout l'impuissance d'un maire dépassé, comme nombre de ses homologues de Seine-Saint-Denis, dont celui de Sevran (lire page 4), par la violence, qui, chaque soir depuis dimanche, gagne la ville. Des édiles de tous bords leur ont d'ailleurs exprimé hier leur solidarité en réclamant, comme l'Association des maires Ville et Banlieue de France, «à être reçus en urgence par le Premier ministre». «Les maires sont en première ligne dans la mise en oeuvre des politiques de la ville. Quand elles sont défaillantes, ils en subissent les conséquences désastreuses, et en sont comptables auprès de leurs concitoyens», ajoutait hier le Forum français pour la sécurité urbaine (regroupant 130 villes de gauche et de droite), qui demande à Dominique de Villepin «la mise en place sans délai d'une commission des maires».
«Une réponse républicaine face à des actes gratuits»
Confronté à une poussée de fièvre sans précédent ­ concession automobile incendiée, poste de police saccagé, caserne des pompiers attaquée, deux salles de classe d'une école primaire vandalisées, incendies de dizaines de voitures, jets de pierre et de cocktails Molotov contre les CRS ­, le maire d'Aulnay-sous-Bois a tenté de trouver une parade. Avant de se rendre à Matignon avec une délégation d'autres élus de la région (lire ci-dessous) réclamer un soutien accru des pouvoirs publics, Gérard Gaudron a rassemblé hier ses troupes en mairie. Elus, chefs d'entreprise, commerçants, membres associatifs, responsables cultuels et culturels, tout ce que l'hôtel de ville compte comme relais a été convoqué. Manière de manifester que, en face des casseurs, il y aura du répondant.
La première réponse sera symbolique : un rassemblement silencieux samedi prochain. Habitants, commerçants, élus du département y sont tous conviés. «Il ne s'agit pas d'une provocation, mais d'une simple réponse républicaine face à des actes délictueux et gratuits causés par une minorité», précise l'édile. D'ici, là, il espère faire baisser la tension.
Pour calmer les esprits, la ville a sa méthode. Partant du constat que, «sur les 150 à 200 jeunes qui descendent dans la rue, la plupart se laissent entraîner et que certains sont peut-être manipulés par des gens qui ne sont pas d'Aulnay», le maire dit vouloir isoler le noyau dur. «On compte beaucoup sur les associations, les acteurs de terrain, précise l'adjoint à la sécurité. On va activer l'ensemble de notre réseau pour raisonner les jeunes. S'ils ne sont plus deux cents mais qu'il n'en reste qu'une trentaine, particulièrement motivée, la police pourra les interpeller.»
«Du porte-à-porte, pour s'adresser aux parents»
Gérard Gaudron renchérit : «Ce ne sont pas tous des voyous. Certains viennent juste pour s'amuser. Au lieu de jouer à la Playstation, ils tapent des CRS. Dans quelques jours, ceux-là reprendront une vie normale, et là on pourra s'occuper des autres.» Cette stratégie repose sur une présence accrue des CRS, donc un sérieux coup de main de la préfecture. Car, mercredi soir, le déploiement progressif des policiers et CRS stationnés au Stade de France a pris trop longtemps. Lorsqu'ils sont arrivés, toute leur énergie a été consacrée à regagner le terrain occupé par les jeunes. «Il faut arriver à prendre les choses dès le départ et ne pas se laisser déborder», dit-on à la mairie.
Parallèlement à la police, les associations sont appelées à «faire leur boulot». Plusieurs d'entre elles se sont réunies hier après-midi dans un centre social de la cité des 3 000 pour trouver des solutions. «J'ai proposé de faire du porte-à-porte pour s'adresser aux parents. Il n'y a qu'eux qui peuvent tenir leurs enfants, dit Aissa Diawara, directrice de l'association des Femmes relais aux 3 000. D'autres ont proposé d'aller à la rencontre des jeunes dans la rue, ou d'aller voir les proviseurs dans les collèges.» Mais, inquiets de la tournure que pouvait prendre la soirée d'hier, ils ont décidé de ne pas aller au contact avant aujourd'hui. Certains se contentent, pour l'heure, d'appeler «un à un tous les parents qu'on a dans notre carnet d'adresses».
«Dans ce contexte, c'est très difficile de dialoguer»
Dans la ville, nombreux reconnaissent qu'ils n'ont plus de prise. «Depuis cinq ans, on joue l'interface avec les jeunes, à la demande de la mairie, explique Karim Haddou, membre de l'Espérance musulmane de la jeunesse française. On remonte des problèmes de fond. Mais, dans le contexte actuel, c'est très difficile de dialoguer avec les jeunes.» Un autre membre de l'association reconnaît avoir «perdu la confiance».
Teddy, 19 ans, employé d'une entreprise de télécoms d'Aulnay et invité hier matin à la mairie, estime, lui, qu'il faut renouer les fils du dialogue au lieu de «dresser des bilans» : «Le maire se demande comment calmer les esprits, mais il ne propose rien pour que ça change. Il faudrait commencer par écouter les jeunes. Ce sont eux qu'il fallait inviter à dialoguer.» D'autres, au coeur même de la cité des «1000-1000», comme disent les habitants, ont une solution plus radicale. «Ils devraient commencer par décréter un couvre-feu», lance Marcelle, 79 ans, dont trente-cinq au pied des tours. Son cabas à la main, elle peste contre un maire «bien planqué, qu'on ne voit jamais sauf au moment des élections».
«Une salle des jeunes si petite qu'elle ne sert à rien»
Devant une agence bancaire incendiée et une carcasse de voiture, un groupe d'adolescents dénonce en bloc «la salle des jeunes, si petite qu'elle ne sert à rien», «le terrain de foot pourri qu'ils auraient dû refaire depuis quatre ans» et les adeptes de beaux discours «qui ne viennent jamais nous voir alors qu'on galère toute la journée». S'amusant d'une ville qui ressemble plus «à Bagdad qu'à Monaco», ils comprennent «ceux qui font ça, même s'ils ne devraient toucher ni aux pompiers ni à nos voitures». A quelques mètres de là, le supermarché a, de sa propre initiative, choisi de retirer des rayons les bouteilles d'acide chlorhydrique et de produits inflammables...
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335988

Société
A Aulnay-sous-Bois, la mairie se prépare à une autre nuit d'émeutesThéâtre des plus graves incidents en Ile-de-France la nuit dernière, la commune a défini jeudi après-midi une stratégie pour parer tout dérapage : démobiliser ceux qui se laissent embrigader pour que les forces de l'ordre puissent «paralyser» ceux qui les «manipuleraient»
Par Ludovic BLECHER jeudi 03 novembre 2005 (Liberation.fr - 16:32)

«Ce qui se passe ici, ce n'est pas à cause de la mort des deux jeunes de Clichy, mais ce sont les propos de Sarkozy ensuite qui ont révolté les jeunes. Il la joue comme dans un régime bananier, la force par la force, face à de jeunes révoltés». Zinedine, 31 ans, entrepreneur à Aulnay-sous-Bois, y a longtemps habité. Aujourd'hui, il y travaille. Comme d'autres représentants de chefs d'entreprises, membres associatifs, responsables cultuels et culturels, il a été convié jeudi matin à la mairie d'Aulnay-sous-Bois, théâtre la veille des plus graves incidents en Ile-de-France. Démuni face à la révolte de 150 à 200 jeunes, selon les services municipaux, le maire UMP Gerard Gaudron tente d'organiser la parade. Tous ici craignent une nouvelle nuit d'émeutes. «Notre objectif est de tout faire pour qu'il n'y ait plus 200 jeunes, mais une trentaine seulement, les plus motivés, et que les forces de l'ordre puissent les interpeller», explique l'adjoint à la sécurité.
Cet après-midi, les associations vont se réunir et mettre eu point une action de terrain pour tenter de calmer les esprits en allant directement parler aux jeunes. A la mairie, on dit vouloir arriver à démobiliser ceux qui se laissent embrigader pour que les forces de l'ordre puissent «paralyser» ceux qui les «manipuleraient». Le maire doit aussi rencontrer le préfet et le cabinet du Premier ministre, Dominique de Villepin. Avec l'intention d'obtenir des renforts policiers pour éviter la pagaille de la veille. Mardi soir, les 800 policiers et CRS stationnés au Stade de France ont mis du temps à se déployer. Lorsqu'ils sont arrivés toute leur énergie a été consacrée à regagner le terrain occupé par les jeunes. «Cette fois il faut arriver à prendre les choses dès le départ et ne pas se laisser déborder», dit-on à la mairie.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335848

Société
«C'est la guerre, chez vous aussi»Un car de touristes russes se serait retrouvé en plein milieu des émeutes de Seine-Saint-Denis • Vu de Russie, une «nuit de cauchemar» •
Par L.M. jeudi 03 novembre 2005 (Liberation.fr - 17:22)
Moscou de notre correspondante

« Des Russes pris dans les pogroms de la région de Paris», «Nuit de cauchemar»... En Russie, les émeutes françaises font depuis deux jours l'ouverture des journaux télévisés, avec jeudi un épiphénomène devenu central à travers la loupe des médias russes. Un car de touristes russes se serait retrouvé au cœur des «pogroms» de Saint-Denis, rapporte la chaîne NTV, illustrant la scène d'images de voitures en feu et de CRS harnachés comme pour la guerre. Pour le spectateur russe, habitué à voir les forces spéciales russes assiéger des «terroristes islamistes» dans le Caucase, le parallèle semblait frappant. «C'est la guerre, chez vous aussi», en déduisait jeudi un lecteur attentif de la presse russe.«Un groupe de 25 adolescents, essentiellement d'origine arabe», a stoppé le bus, «écarté les touristes et le chauffeur» et «emmené l'autobus vers une destination inconnue», racontait jeudi NTV, assurant que l'autobus aurait ensuite été retrouvé «brûlé». Plus tard, les médias russes, passionnés par cette affaire, établissaient toutefois que l'autobus n'a pas brûlé. Selon la première chaîne russe de télévision, les touristes russes auraient «pris le thé dans un café lorsque soudain, ils virent passer devant eux l'autobus avec lequel ils étaient arrivés». «A l'intérieur, des ressortissants d'Afrique du nord et du Proche-Orient». Une course-poursuite s'en serait ensuivie, et «les jeunes à l'intérieur du bus ont commencé à jeter les affaires des touristes», jusqu'à ce que la police réussisse à stopper le véhicule. «La jeunesse locale s'attaque à des gens de peau blanche juste à l'entrée de l'hôtel, alors qu'il y avait juste à côté des gardes armés» s'indignait hier un des touristes russes cité par la chaîne de télévision Rossia. «Traiter les touristes ainsi n'honore pas les habitants de la France», renchérissait une autre touriste russe.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335860

Société
Nuit de violence en banlieue parisienne Ecole primaire incendiée, poste de police saccagé à Aulnay-sous-Bois, gymnase et magasins à feu au Blanc-Mesnil, callaissages, voitures endommagées... Les incidents ont embrasé dans la nuit de mercredi à jeudi différentes communes de Seine-Saint-Denis • Au même moment, la violence a gagné d'autres départements de la région parisienne
jeudi 03 novembre 2005 (Liberation.fr - 11:30)

Plusieurs villes de Seine-Saint-Denis ont connu une nouvelle nuit de violence, principalement à Aulnay-sous-Bois, qui semble prendre le relais de Clichy-sous-Bois, à l'origine des émeutes. Peu avant 23 heures, des jeunes d'Aulnay ont saccagé le poste de police du quartier Gaillon, près de la cité des 3.000, toujours fermé la nuit pour raison de sécurité. Plus tôt dans la soirée, certains avaient même tenté de l'incendier. Toujours à Aulnay-sous-Bois, un concessionnaire Renault et deux classes d'une école primaire ont pris feu. Dans la ville voisine du Blanc-Mesnil, c'est un gymnase qui a été incendié. Une soixantaine de pompiers ont été mobilisés. L'un d'entre eux a été brûlé au visage par un cocktail Molotov lancé par une voiture, plusieurs engins de pompiers ont été endommagés par des projectiles. Les sapeurs pompiers de Paris indiquent avoir reçu «plusieurs centaines d'appels» au cours de la nuit, pour des incendies de voitures ou de poubelles.
Selon un premier bilan de la préfecture de Seine-Saint-Denis, une quarantaine de véhicules, dont la voiture d'une équipe de France 2, ont été incendiés à Bobigny, Bondy, Aulnay, le Bourget, Villepinte, La Courneuve, Clichy et Sevran, le tout parfois agrémenté de «caillassages et prise à partie des forces de police». La préfecture de Bobigny avait elle-même été le théâtre de violences inhabituelles, jeudi en fin d'après-midi, avec la mise à sac du centre commercial Bobigny 2 par une quarantaine de personnes encagoulées.
Les violences se propagent à d'autres départements de la banlieue parisienne. A Antony (Hauts-de-Seine), dont le maire est Patrick Devedjian, fidèle de Nicolas Sarkozy, des véhicules ont été incendiés et deux cocktails Molotov lancés sur un commissariat. A Villeparisis (Seine-et-Marne), dix feu de véhicules ont été signalés. En revanche, Clichy-sous-Bois a connu une nuit relativement calme, la première depuis une semaine, en dehors de quelques poubelles incendiées. Son maire, Claude Dilain (PS), avait annoncé que «le dispositif, cette nuit, sera adapté et nettement moins provoquant».
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335803

Evénement
Cités. Une colère qui court au-delà de Clichy En Seine-Saint-Denis, à Strasbourg ou à Vaulx-en-Velin, beaucoup disent leur ras-le-bol et n'excluent pas une propagation de la violence.
Par Ludovic BLECHER et Olivier BERTRAND et Thomas CALINON et Jacky DURAND et LEBEGUE Thomas jeudi 03 novembre 2005
(1) Jeunes en cité, l'Harmathan.

Une colère profonde, durable. C'est le constat commun des intervenants de la banlieue quand on les interroge sur les risques de contagion à d'autres cités des incidents qui, depuis le 27 octobre au soir, embrasent Clichy-sous-Bois. Depuis vendredi, les feux de poubelles et de voitures se sont étendus à d'autres villes de Seine-Saint-Denis : Montfermeil, voisine de Clichy, d'abord, puis Aulnay-sous-Bois, Bondy, Neuilly-sur-Marne, Sevran et Tremblay-en-France. Dans la nuit de mardi à mercredi, les incidents ont gagné le Val-d'Oise (Goussainville, Argenteuil, Villiers-le-Bel) et les Yvelines (Mantes-la-Jolie). Hier soir, une quarantaine de personnes cagoulées ont tenté de s'en prendre au centre commercial Bobigny-2 (Seine-Saint-Denis) avant d'être dispersées par la police. Au total, selon un bilan de la préfecture de Seine-Saint-Denis (effectué à 22 h 45), neuf communes du département étaient touchées, 40 véhicules incendiés, et un poste de police à Aulnay, désert la nuit, investi par des jeunes puis repris par les forces de l'ordre.
Faut-il pour autant craindre une extension des violences ? Un responsable policier qui scrute au plus près la banlieue nord de Paris en écartait, hier, l'éventualité: «On ne croit pas à une concertation généralisée entre les quartiers. Il y a trop de conflits entre les bandes des cités. On est plus dans une réaction commune aux discours de Nicolas Sarkozy. Une forme d'émulation s'est installée parmi les jeunes pour faire les bravaches après s'être fait traiter de "racaille".» Le sociologue Eric Marlière, qui a écrit sa thèse de doctorat (1) sur la cité où il a grandi, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), ne parle pas de contagion mais de «sentiment de destin commun, dans lequel les jeunes peuvent se retrouver. Qu'ils soient bac + 5 au chômage ou en échec scolaire, ils éprouvent un profond sentiment d'injustice. Et l'amertume est peut-être encore plus forte pour ceux qui ont fait l'effort de faire des études».
Contentieux. Ce diagnostic d'une crise profonde, dont le fait divers de Clichy-sous-Bois aurait été seulement le déclencheur, est partagé par Hugues Lagrange, membre de l'Observatoire sociologique du changement de Mantes-la-Jolie : «Quel que soit le résultat de l'enquête sur les deux jeunes électrocutés, la dynamique des affrontements révèle le lourd contentieux avec la police.» Pour lui, la déshérence économique explique «que la rumeur puisse prendre en si peu de temps et se déplacer de ville en ville. Le traitement du chômage est en panne, les missions locales ne savent plus ce qu'elles doivent faire, les jeunes au pied des tours ne savent plus à qui s'adresser...» André Decroix, président de l'association Europe-Afrique, implantée dans le quartier des Pyramides à Evry (Essonne), estime lui aussi que ces violences «sont des signaux d'alarme sur le climat général dans les banlieues, qui est antérieur à ce qui s'est passé à Clichy-sous-Bois».
Solidaires. A Aulnay, la tension a commencé à monter dimanche. Des voitures ont été incendiées. Mardi soir, l'émeute. «J'habite le quartier depuis une dizaine d'années, raconte Aissa Diawara, 34 ans, directrice de l'association de femmes Relais, à la Cité des 3 000. Cette violence m'a surprise, même si on peut comprendre que les jeunes se sentent solidaires de ce qui s'est passé à Clichy. Ici, ils ont l'impression d'être systématiquement contrôlés, sans raison. Même mon fils m'a dit récemment que s'il voyait un contrôle de police en rentrant du sport, il partirait en courant.» Nazim, 26 ans, est travailleur social à La Courneuve: «Le 93 cumule les difficultés : 80 % de la population la plus pauvre y habitent, le pourcentage de logements sociaux est un des plus élevés en France. On ne peut pas s'étonner de la diffusion de la violence.»
Pour Georges Mothron, député-maire (UMP) d'Argenteuil, ville où la visite de Sarkozy avait fait monter la tension le 25 octobre, la situation est nouvelle : «Pour la première fois, j'ai eu des emmerdes personnelles. Ma voiture a été incendiée et mon domicile visité. Du jamais vu ! Je suis né à Argenteuil et j'ai toujours pu me balader partout, à n'importe quelle heure, mais là, on a franchi un cran. Cela dit, il ne suffit pas d'agiter le bâton sans la carotte. Il faut faire du préventif et ne pas faire l'amalgame entre la petite minorité agissante et la grande majorité des jeunes qui tentent de s'en sortir. Ce sont ces amalgames que j'ai regrettés après la visite de Sarkozy.»
Prétexte. Les violences en Ile-de-France peuvent-elles gagner d'autres régions ? De source officielle, Strasbourg est calme, mais un policier précise «qu'il suffit d'un prétexte, qu'un policier regarde un jeune de travers pour mettre le feu aux poudres». A Hautepierre, quartier sensible, Khaled confirme : «C'est calme, mais seulement parce que c'est le ramadan, explique cet homme de 25 ans, sans emploi. Après les propos [de Sarkozy, ndlr], il y en a qui sont susceptibles de s'énerver. C'est honteux de la part d'un Premier ministre [sic] de traiter les jeunes de racaille. On est des Français comme les autres. On paie des impôts et on galère pour trouver du travail. Ce qu'il a dit, j'appelle ça de l'abus de pouvoir. Ce mec, c'est un amplificateur de violences.» «Quand Sarkozy traite les jeunes de racaille, ça ne nous étonne pas», dit Maya Boukari, de l'association Prosper'IT, créée après la mort d'un jeune de 17 ans originaire de Hautepierre, qui s'était noyé en tentant d'échapper à la police après un cambriolage en 2002. Un décès qui avait provoqué plusieurs nuits de violences et la visite du ministre de l'Intérieur. «Il avait déjà traité les jeunes de voyous, sans chercher à comprendre ce qui se passait, se souvient-elle. Sarkozy stigmatise plutôt que d'essayer de résoudre les problèmes.»
Etat de guerre. Avec une étonnante discrétion, Vaulx-en-Velin vient de vivre six jours d'échauffourées, juste avant l'embrasement de Clichy-sous-Bois. Le 16 octobre, deux adolescents circulaient sur un scooter volé. Une voiture de la brigade anticriminalité arrivait en face. Selon la version policière, le conducteur du scooter a tenté de leur échapper et heurté des véhicules en stationnement. Mais selon Nabil (18 ans), conducteur du scooter, interrogé par l'hebdomadaire Tribune de Lyon, les policiers ont volontairement «pare-choqué» le deux-roues. Dans le quartier, la rumeur a donné Nabil pour mort (il s'en est tiré avec une cheville brisée). Les incidents ont duré six jours. «Pas des émeutes», précise un chef d'établissement scolaire qui a passé plusieurs soirées avec un collègue au Mas du Taureau, où ils ont observé «un état de guerre du côté des forces de l'ordre, peu efficaces et qui ne connaissaient visiblement pas le quartier».
Et demain ? Amar Henni, responsable au centre de formation Essonne (qui forme des travailleurs sociaux), en est convaincu : «Un jour, il y aura un embrasement général. Quand le ras-le-bol aura intégré d'autres générations que les jeunes. Aujourd'hui, même les gens qui travaillent en banlieue sont précaires et vivent l'exclusion. Pour l'instant, les parents ont peur pour leurs gamins quand ils se mesurent à la police. Mais demain, ils descendront dans la rue, c'est une évidence.»
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335763

Société
«Les jeunes au pied des tours ne savent plus à qui s'adresser» Alors que Jacques Chirac a appelé au calme après les violences urbaines, Libération.fr interroge plusieurs acteurs de terrain dans les banlieues qui ont connu des incidents.
Par Ludovic BLECHER et Renaud LECADRE mercredi 02 novembre 2005 (Liberation.fr - 13:54)

Jacques Chirac a appelé mercredi en Conseil des ministres à l'apaisement des «esprits» dans les banlieues. Alors que les violences urbaines se sont poursuivies mardi soir en Seine-Saint-Denis, des incidents ont eu lieu dans au moins trois autres départements de la banlieue parisienne. Face à la montée de la tension, le chef de l'Etat a estimé que la loi devait s'appliquer «fermement et dans un esprit de dialogue et de respect». Selon Jacques Chirac, «l'absence de dialogue et l'escalade de l'irrespect mèneraient à une situation dangereuse», a indiqué le porte-parole du gouvernement Jean-François Copé qui rendait compte de ses propos.
Et pour tenter de trouver des mesures d'apaisement, Dominique de Villepin réunit, depuis la fin de la matinée, plusieurs ministres «concernés par la mise en œuvre des actions dans les zones urbaines sensibles» à Matignon. Nicolas Sarkozy (Intérieur), Michèle Alliot-Marie (Défense), Jean-Louis Borloo (Cohésion sociale), Gilles de Robien (Education nationale), Pascal Clément (Justice), François Baroin (Outre-Mer), mais aussi trois ministres délégués, Azouz Begag (Promotion de l'égalité des chances), Catherine Vautrin (Cohésion sociale et Parité) et Brice Hortefeux (Collectivités territoriales), entoureront ainsi le Premier ministre. Alors que le gouvernement tente de reprendre la main, «Libération» a interrogé des acteurs de plusieurs villes actuellement concernées par les violences urbaines pour recueillir leur sentiment sur un dialogue de plus en plus difficile entre les jeunes et les institutions.
Hugues Lagrange, Mantes-la-Jolie
Observatoire sociologique du changement
«A Mantes, la situation est assez calme cette année, mais la sensibilité reste exacerbée. Le désarroi ambiant peut tout faire repartir. Quel que soit le résultat de l'enquête sur les deux jeunes électrocutés, cette dynamique des affrontements révèle le lourd contentieux à l'égard de la police, du délit de sale gueule. Les jeunes se mettent à courir même s'ils ne sont pas effectivement poursuivis. Que la rumeur puisse prendre en si peu de temps et se déplacer de ville en ville en dit long sur le bilan des politiques menées depuis cinq ou sept ans. Il y a quelquechose qui dépasse l'incident: le traitement du chomage est en panne, les missions locales ne savent plus ce qu'elles doivent faire, les jeunes au pied des tours ne savent plus à qui s'adresser.»
Aissa Diawara, 34 ans, Aulnay-sous-Bois
Directrice de l'association des Femmes Relais, implantée à la cité des 3000
«La tension a commencé à monter dimanche dernier. Quelques poubelles ont été incendiés, puis des voitures le lendemain. Et mardi soir, c'était l'émeute. J'habite le quartier depuis une dizaine d'années, et c'est la première fois que je vois ça ailleurs qu'à la télévision. J'ai passé la soirée à la fenêtre: il y avait des feux partout, une quinzaine de jeunes jouait au chat et à la souris avec les CRS. Chacun était de son côté, il n'y avait pas de contact. Cette violence m'a surpris même si on peut comprendre que d'une certaine façon les jeunes se sentent solidaires de ce qui s'est passé à Clichy. Ici, ils se sentent visés en permance, ils ont l'impression d'être systématiquement contrôlés sans raison. Ce n'est pas acceptable et ça crée un climat particulier. Même mon fils m'a dit récemment que s'il voyait un contrôle de police en rentrant du sport, il partirait en courant. Ici, il y a cette idée bien ancrée que la police peut vous arrêter même si vous n'avez rien fait. Mais ça n'explique pas pourquoi ceux d'Aulnay réagissent en mettant le feu au quartier. On ne s'attendait pas du tout à ça. J'ai rencontré beaucoup de personnes ce matin qui sont en colère. Ils accusent les parents, se demandent pourquoi leurs enfants sont dehors à cette heure-ci. Même si on peut comprendre que les jeunes se sentent solidaires de ce qui se passe à Clichy, retourner la violence contre le quartier c'est la retourner contre eux-mêmes».
Nazim, 26 ans, La Courneuve
Travailleur social
«Par rapport à d'autres départements, le 93 empile les difficultés. Si on prend par exemple le Val-de-Marne ou le Val-d'Oise, il y a des concentratrions de quartiers difficiles, des îlots de pauvreté mais ce n'est pas exclusif comme en Seine- Saint-Denis. Ici on cumule tout : 80% de la population la plus pauvre habite dans le département, le pourcentage de logements sociaux est l'un des plus élevés en France, à part Le Raincy quasiment aucune zone n'est épargnée. Tout cela crée une situation hypertendue, et on ne peut pas s'étonner de la diffusion de la violence. Même si je constate que certaines zones, moins densément peuplées que l'est du 93 sont touchées, ce qui est nouveau. Après l'affaire de Clichy, les critiques se focalisent autour du comportement des policiers. On peut considérer que les flics du département sont un peu plus bornés qu'ailleurs, mais ils ont l'impression d'être en permanence confrontés à un terrain explosif, ce qui est vrai. Les travailleurs sociaux aussi ou ceux qui bossent en mairie peuvent être perçus un peu comme des flics. Ils représentent une institution qui a déserté les lieux et qui en gêne certains.
Mais il ne s'agit pas d'incriminer tel ou tel corps professionnel, il faut regarder les causes. Si les politiques n'agissent pas sur le fond, sur les problèmes d'urbanisme et d'emploi qui sont indissociables, ça continuera. La montée du communautarisme, des délinquances urbaines, tout cela ne changera pas si on ne change pas le décor de ceux qui vivent ici. Il faut continuer de détruire l'habitat ancien et mettre de la mixité sociale dans les quartiers. Les politiques feraient mieux de mettre des moyens en œuvre plutôt que de faire des déclarations qui mettent le feu au poudres. Quand Sarkozy dit qu'il y en a marre de la racaille, ça renforce encore l'impression qu'il regarde les choses de l'extérieur et ne propose aucune solution de fond.»
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335531

Clichy-sous-bois Grenade a la mosquee, Clichy sous le choc L'explosion dimanche soir d'une grenade lacrymogène des CRS, après trois nuits d'émeutes, a maintenu la colère. Sarkozy a admis, sans condamner.
Par Karl LASKE mardi 01 novembre 2005

L'image projetée sur le mur est agrandie, imprécise. C'est une scène de panique, filmée par un portable, dimanche soir à la mosquée Bilal, à Clichy-sous-Bois. On court dans tous les sens. Silhouettes de fuite, des hommes, des femmes, vêtements colorés. Bruits sourds de plaintes. Quelques cris. Le souffle de celui qui a filmé. La scène dure une minute tout au plus. Les responsables de la mosquée ont tenu à faire connaître, hier, le nouveau dérapage des forces de l'ordre dans la ville. Plusieurs grenades lacrymogènes ont été tirées, dimanche soir vers 20 h 30, par les CRS aux abords de la mosquée. Dimanche, la police avait fait savoir au maire de Clichy qu'elle n'était pas à l'origine du tir. Selon les témoins, l'une des grenades, au moins, aurait été lancée à l'intérieur du bâtiment, en pleine heure de prière. La panique a saisi des centaines de personnes. «La fumée a tout envahi, témoigne Khatija, tenant à la main ses deux chaussons verts. Tout le monde toussait, pleurait. Beaucoup sont tombés dans les pommes, C'est vraiment grave. On avait des personnes âgées, et beaucoup de mamans. Ici, c'est comme l'église, la synagogue...»
«Des excuses». Conséquence immédiate : déjà secouée par la mort de deux jeunes, électrocutés, jeudi, lors d'une course-poursuite avec la police, la ville a vécu une nouvelle nuit d'émeutes. Hier, la mosquée Bilal, située à l'arrière d'un centre commercial entouré d'immeubles décrépits, s'est ouverte aux journalistes. Dans la confusion. Pour dénoncer «le gazage de la mosquée». Les familles de Bouna et Zyed, les deux jeunes décédés, ainsi que le père de Metin, grièvement blessé, sont là aussi. «La vidéo, c'est malheureusement, l'accident... l'incident d'hier soir», explique un jeune responsable musulman : «Je demande que les auteurs du tir de dimanche soir soient traduits en justice. Ce qui s'est passé, hier, est indigne de la République française.» Abderamane Bouhout, l'un des responsables du lieu, a été reçu par le ministre de l'Intérieur, à Bobigny, un peu plus tôt. «J'ai demandé une enquête, rapporte-t-il, et qu'elle soit faite le plus vite possible.» Et aussi «des excuses». Nicolas Sarkozy, lui, a annoncé qu'il «pourrait savoir comment et pourquoi une bombe lacrymogène a pu pénétrer dans la mosquée». «Il n'y avait aucune volonté de quiconque de blesser ou de considérer que la mosquée n'est pas un lieu qui doit être profondément respecté», a-t-il commenté publiquement. Façon d'admettre l'incident sans toutefois le condamner.
Les jeunes, autour de la table, trépignent. «Non : ce tir, c'est pas une erreur !» murmure l'un d'eux. «Ce soir même, je suis dehors !» lance-t-il à mi-voix. «On touche à la mosquée ? Demain, ils rentrent chez nous !» Apaisant, Abderamane Bouhout envisage de recevoir Nicolas Sarkozy «si tout se passe comme il l'a promis». En attendant, les familles des jeunes décédés ont finalement refusé de se rendre Place Beauvau, hier. Au premier étage de la mosquée, les jeunes se «concertent». Tarik parle : «J'aimerais rappeler les faits, dit-il d'une voix posée. Il y a eu énormément de comportements agressifs, d'insultes, vis-à-vis des gens qui habitent ce quartier. Dimanche, il y avait des policiers qui étaient là pour taper du bougnoule, il faut bien le dire. Il y a eu des femmes insultées en sortant d'ici. Les policiers en sont venus à tirer une grenade dans la mosquée. Et la violence est repartie.» Il conclut : «On est dans un Etat, mais on ne sait pas si c'est un Etat de droit. Je demande aussi un message du gouvernement pour nous rassurer. Rassurez-nous !»
«Désamorcez !» Plus âgé, Mustapha témoigne aussi : «On a entendu un bruit comme une explosion. Les policiers étaient devant la mosquée, courant à gauche et à droite. Tout le monde s'est sauvé.» «Les femmes avaient tout abandonné derrière elles, leurs foulards, leurs sacs, leurs chaussures, raconte Alex Jordanof, un journaliste de Canal + arrivé sur place quelques minutes plus tard. Moi j'ai vu des cartouches de grenades traîner un peu partout.» De son côté, le maire socialiste de Clichy-sous-Bois, Claude Dillain, a constaté que «les CRS chargeaient». Il n'a vu qu'une «cartouche». La police a fait savoir, hier soir, que la grenade n'avait «pas explosé dans la salle de prière», mais avait été «envoyée en l'air à l'aide d'un fusil avec une trajectoire instable». Les «petits pots contenant le gaz» libérés par la grenade ont «été trouvés près d'une entrée de la salle de prière, mais pas à l'intérieur».
Aux anciens qui, dans la mosquée, demandent le «calme ce soir», un jeune répond : «Alors, désamorcez !» «Que Sarkozy et les policiers quittent Clichy et le calme va revenir.» Le discours du ministre est à des années-lumière. «Ceux qui ont été agressés, ce sont les forces de l'ordre et non pas les voyous», a-t-il asséné à Bobigny, tout en soulignant sa «nouvelle stratégie». «L'occupation du terrain, de façon permanente dans tous les quartiers difficiles.» Venu rencontrer le ministre à la préfecture, le maire de Clichy ne cachait pas son pessimisme. «On voudrait foutre le feu à Clichy, on ne s'y prendrait pas autrement», a-t-il confié à Eric Raoult, député-maire (UMP) du Raincy. Avant de lancer au préfet : «Si on a encore une capacité à calmer les choses, ce n'est pas en s'affichant avec Sarkozy, je vous le dis carrément, M. le préfet.»
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335197

Evénement
Clichy-sous-bois La nuit, le feu s'étend aux villes voisines Des voitures ont encore brûlé dans la nuit de lundi à mardi. Interpellations à Clichy et à Sevran.
Par Karl LASKE et Gilles WALLON mercredi 02 novembre 2005

A Clichy-sous-bois, c'était la première visite d'une personnalité depuis «les événements». Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) s'est rendu, hier avant la prière du soir, à la mosquée Bilal, touchée par des tirs de grenades lacrymogènes dimanche à Clichy. «L'émotion était à son comble», a-t-il commenté. Tout en exprimant «sa solidarité avec ses frères», il a déclaré avoir «besoin d'éclaircissements sur la mort des adolescents (Bouna et Zyed) et de connaître des éléments de l'enquête sur les grenades». De son côté, à la suite du rendez-vous à Matignon avec les familles des victimes (lire page 4), Nicolas Sarkozy devait rencontrer hier soir le maire PS Claude Dilain et son équipe ­ vraisemblablement accompagnés de travailleurs sociaux ­ pour une tentative d'apaisement. Mais à distance. Car depuis jeudi, aucun responsable du gouvernement ne s'est risqué sur place.
Des flammes à l'école. «Si ça pète, ça peut partir dans tous les sens. Et c'est ce qui est en train de se passer», disait, hier, Stéphane Gatignon, le maire (PCF) de Sevran, redoutant l'effet de propagation après les premiers incidents survenus durant la nuit dans sa commune, voisine de Clichy-sous-Bois. Plusieurs voitures y ont été incendiées, et une école touchée par les flammes. «On a perdu deux classes», déplore-t-il. Pour l'élu, la gestion «catastrophique» du dossier Clichy et les déclarations du ministre de l'Intérieur n'ont fait «qu'envenimer les choses». «On a l'impression d'être pris en otages par le discours sécuritaire de certains et, qui plus est, pour des ambitions présidentielles...»
Outre Sevran, les villes voisines de Montfermeil, Tremblay-en-France et Aulnay-sous-Bois ont elles aussi été le théâtre d'affrontements de groupes de jeunes avec la police, dans la nuit de lundi à mardi. Pour l'essentiel, des «actions de harcèlement» et des «caillassages» selon la préfecture. Dix-neuf personnes ont été interpellées à Clichy et Sevran. Soupçonnées de «destruction de biens», «détention de substances incendiaires» ou «violences volontaires», treize ont été placées en garde à vue.
Imams modérateurs. Dans le quartier Anatole-France de Clichy, les CRS ont pris le contrôle, dans la nuit, de l'avenue frontalière avec Montfermeil. A l'initiative de la mosquée, des conciliateurs sont apparus pour ramener le calme. «Les imams ont dit d'arrêter», explique Hassini, posté avec deux amis au coin d'une avenue. «Il y a des barbus aussi, ajoute-t-il, désignant deux hommes en djellaba un peu plus loin. Ils sont là pour ça. On est là pour ça. Pour la paix quoi. Les barbus sont respectés. Heureusement qu'ils sont là : ils représentent le droit chemin.» Selon Ahmed, la «faute» d'avoir tiré sur la mosquée a été «pardonnée» aux policiers. Les trois conciliateurs jurent qu'ils n'ont «jamais vu» d'affrontements comme ceux qui ont eu lieu dimanche soir. «Les flics tiraient partout, sur tout le monde.» «Maintenant, regardez, il n'y a plus de flics : et c'est tranquille», remarque l'un d'eux. Aussitôt contredit par le passage de plusieurs voitures chargées de jeunes très excités.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335438

Evénement
Clichy-sous-bois L'autre colère de la banlieue Ils travaillent dans les cités, y vivent parfois. Cinq regards de l'intérieur.
Par Jacky DURAND et Nicole PENICAUT mercredi 02 novembre 2005

Comment résoudre la crise profonde des banlieues, illustrée par les événements de Clichy-sous-Bois ? Libération a posé la question à ceux dont le métier, ou l'engagement, côtoie au quotidien la banlieue.
André Decroix formateur social
«La prévention n'existe plus en France depuis quinze ans»
André Decroix, président de l'association Europe-Afrique, habite la cité des Hauts-Bâtons, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). «On a un ministre de la répression, Nicolas Sarkozy, à qui on reproche de tout faire. Mais si le ministre de l'Intérieur joue aujourd'hui tous les rôles, c'est que les autres ne font rien. Depuis les événements de Clichy, que disent les ministres de la Cohésion sociale, du Logement, de l'Education ? Rien. Tous sont étrangement absents alors que Sarkozy s'y connaît autant en prévention que Benoît XVI en préservatif. Qu'on ne me raconte pas que l'on fait de la répression car la prévention a échoué. La prévention n'existe plus en France depuis quinze ans. Quand Aide à toute détresse (ATD) a été créé en banlieue, il y a cinquante ans, son fondateur a dit qu'"il faudrait créer un projet politique prenant en compte la condition des plus pauvres pour revoir les orientations générales du pays". C'est la même chose aujourd'hui. L'insertion doit faire partie des fondamentaux comme lire, écrire, compter. Chacun doit pouvoir accéder à un boulot, un logement. Sinon, après Clichy-sous-Bois, ça repartira ailleurs.»
Jean-Pierre Reynaud
policier
«Il faut cibler les caïds et donner de l'espoir aux autres»
Jean-Pierre Reynaud est secrétaire général du Syndicat national des officiers de police (Snop ­ majoritaire). «Ça fait deux ans qu'on tire le signal d'alarme sur la banlieue en disant que la politique d'affichage du gouvernement sur les chiffres de la délinquance masque la situation sur le terrain. Ce qui arrive aujourd'hui est le révélateur d'une logique poussée à bout, celle du rapport de force imposé depuis trois ans par Nicolas Sarkozy, après le supposé laxisme des gouvernements précédents. Mais cette logique est loin d'être la solution. Nous ne cessons de demander à Nicolas Sarkozy un texte fondateur sur la prévention. Car il faut une politique de prévention en faveur de cette génération perdue qui s'en prend non seulement à la police, mais aussi aux pompiers, au Samu, aux postiers. Il faut donner les moyens pour neutraliser les meneurs, pour que le rapport de force soit en faveur des policiers sur le terrain.
«Mais il faut aussi une politique de prévention d'urgence qui donne aux jeunes les moyens de s'insérer. Il faut cibler les caïds, et donner aux autres de quoi espérer. Si on reste dans une logique exclusive de rapport de force, on va se retrouver dans des configurations de guérilla urbaine larvée sans fin. La police doit être intégrée à la population. En ce sens, le concept de police de proximité était une excellente initiative. Mais c'est devenu un gros mot.»
Un enseignant
«Ayons le courage d'admettre que l'école ne marche pas en banlieue»
Ce prof de math, dans un collège de Seine-Saint-Denis, a souhaité conserver l'anonymat. «Tout le monde se fout de ce qui se passe ici. Les jeunes se positionnent, à tort et à raison, en victimes de la société. On leur répète que la France est un pays formidable ­ ce qui n'est pas forcément faux ­ mais eux ont le sentiment qu'on ne les entend pas quand ils affirment être relégués au bas de l'échelle sociale. L'Education nationale nie la coupure entre les cités et le reste de la société. Il faudrait pourtant avoir le courage de reconnaître que l'école ne marche pas en banlieue, que l'idée du collège unique est une illusion. Il faut reconnaître notre échec, sans tomber dans l'angélisme qui consisterait à dire "ce n'est pas de leur faute si les jeunes des cités font des conneries". Ils ne comprennent pas le sens des actions des institutions : un jour, ils sont sanctionnés, un autre pas. Il faut former les profs à enseigner en banlieue. Personne n'y est préparé. Quand on débute, c'est un jeu de massacre.»
Sonia Imloul présidente d'association
«Avant, les policiers allaient voir les gamins qui séchaient l'école»
Sonia Imloul préside l'association Respect 93, qui s'occupe de la prévention de la délinquance des mineurs. «Il n'y a pas de vraie politique à l'égard de ceux qui habitent la banlieue. Est-ce par manque de volonté des politiques, ou faute de savoir par où commencer ? Je crois qu'il y a une vraie méconnaissance des cités. Aujourd'hui, il faut que les institutions aillent à l'intérieur des familles pour les accompagner concrètement. Il faut, comme au Canada, des contrats d'accompagnement ciblés entre services de l'Etat et famille en difficulté. Ça veut dire aussi une prévention précoce des problèmes : quand, dans une cité, une mère en pleine difficulté financière est en train de mettre à la porte sa fille mineure, il faut pouvoir la prendre en charge psychologiquement tout de suite et mettre en place, avec les Allocations familiales, un programme de rétablissement budgétaire. Ensuite, il faut que la mère s'engage à faire des choses pour sa fille : achats de fournitures scolaires, rendez-vous avec le principal du collège par exemple.
«Il faut aussi que la police réinvestisse la banlieue, mais pas de manière ultrasécuritaire. On voit débarquer les policiers avec les flash-balls, mais jamais ils viennent nous dire : "Alors qu'est-ce qu'on fait maintenant, ensemble ?" Il y a quinze ans, quand j'étais adolescente à la Courtille (Seine-Saint-Denis, ndlr), les policiers venaient voir les gamins dans la rue quand ils séchaient l'école. Le tout-sécuritaire ne sert à rien, les gens s'en moquent. Aujourd'hui, ceux qui rétablissent l'ordre, ce sont les "barbus" car ils font de la médiation.»
Sébastien Peyrat sociologue
«Pour eux, l'extérieur de la cité est source d'injustices»
Sébastien Peyrat, docteur en sciences de l'éducation. Travaille depuis neuf ans sur la question des cités et de la justice en Seine-Saint-Denis. «Le facteur déclencheur a été le décès de deux jeunes, mais cela aurait pu être n'importe quoi d'autre, mettant en prise les jeunes et l'institution, en particulier la police. Celle-ci est, aux yeux des jeunes, une bande rivale qui ose entrer dans leur territoire exclusif, la cité. Aujourd'hui, ils ne se pensent que par rapport à cet univers de la cité. Il n'y a de sens que dans et pour la cité. Ses règles sont sources de justice alors que l'extérieur est source d'injustices. Les institutions de l'Etat connaissent mal les cités sensibles : on sait qu'il y a des déviances, mais on ne sait rien sur leur fonctionnement. Ce sont des communautés particulières qui, pour être réintégrées dans notre société, doivent d'abord être analysées. Il faut aussi un vrai travail de formation des intervenants institutionnels, aussi bien éducateurs que policiers. Si on refuse de comprendre le fonctionnement du monde de la cité, on ne pourra communiquer avec lui.
Ces faits de violence démontrent l'énorme distance entre les jeunes des cités et notre société. Cette distance doit se réduire par la parole et son pendant, la raison. Toute autre solution, en particulier l'usage de la force, ne peut mener qu'à plus de violences. Ce cycle ne se terminera pas avant qu'on dise aux jeunes qu'on les comprend et qu'il leur reste à comprendre que le monde dépend aussi d'eux. C'est à cela que, non seulement les jeunes des cités mais aussi d'autres citoyens ne croient plus. Si le monde ne dépend pas de chacun de nous, il n'est plus facteur de justice. Dès lors, pourquoi en respecter les règles ? Ces jeunes sont des produits de notre société : il est inenvisageable de s'attaquer aux problèmes des cités sans s'attaquer aussi aux difficultés que rencontre notre société.»
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335437

Société
REPORTAGE • «C'est la présence des flics qui nous énerve»
Par Gilles WALLONmardi 01 novembre 2005 (Liberation.fr - 13:18)

Lundi vers minuit, à Clichy-sous-Bois, autour de la mosquée Bilal. Là où, la veille, une grenade a relancé les hostilités, il ya ce soir une quarantaine de CRS. Ils coupent l'avenue liant Clichy à Montfermeil. Quelques jeunes sont là, quatre ou cinq. Ils grondent, toisent les CRS, leur lancent des regards noirs, mais ne font rien. Plus tôt, un cocktail Molotov a pourtant été jeté sur les policiers.Pour l'instant, la rumeur court. « Parmi les CRS, là en face de nous, il y a une petite blonde. C'est elle qui a lancé la grenade sur la mosquée », assure Aziz, la trentaine, un bonnet enfoncé sur les oreilles. Les autres ne l'écoutent pas. « C'est la présence des flics qui nous énerve, c'est de la provocation.», enrage Stéphane sous sa capuche noire. «Ça ne fait que stigmatiser encore plus le quartier. Comme toujours, on ne parle de nous que quand ça va mal.» Plus tôt dans la journée, trois jeunes ont été condamnés à deux mois de prison ferme, pour avoir lancé des pierres et des bouteilles sur les policiers. «Ici, on pense tous qu'ils ont été pris pour faire un exemple, poursuit Stéphane. On continue de nous enfermer, sans preuves. »
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335253

Société
Echaufourrées nocturnes à Clichy-sous-Bois La tension a baissé d'un cran dans la ville de Seine Saint Denis, mais plusieurs dizaines de jeunes ont incendié des véhicules durant la nuit. La police a procédé à douze interpellations.
mardi 01 novembre 2005 (Liberation.fr - 12:16)

La soirée de lundi à mardi à Clichy-sous-Bois a été moins chaude que les précédentes, mais on est encore loin d'un retour au calme. Pas d'émeutes à proprement parler, mais une série de caillassages et d'échauffourées sans véritable affrontement entre jeunes et forces de l'ordre. Douze personnes ont été arrêtées peu avant minuit, pour destruction de biens, détention de substances incendiaires ou violences volontaires, selon la préfecture de Seine-Saint-Denis. Quelques 400 policiers ont quadrillé la ville une partie de la nuit.Vers 21 heures, un cocktail Molotov a été lancé en direction du PC des forces de police de Clichy. Dans le quartiers des Bosquets, près de la mosquée Bilal (où une grenade lacrymogène fut lancée la veille, semble-t-il par les forces de l'ordre), une centaine de personnes faisaient face à une cinquantaine de CRS. Entre les deux, une vingtaine de «grands frères» tentant de jouer les médiateurs avec des affichettes réclamant «respect et justice pour nos enfants et notre culte». La présence d'hommes en djellaba freine les velléités d'affrontement. Vers 23h30, la police disperse la foule à l'aide de quelques tirs de grenades lacrymogènes, sans plus. Dans le reste de la ville, onze voitures et trois conteneurs ont été incendiées par des petits groupes isolées.Les émeutes de Clichy ont par ailleurs «fait des émules» dans des villes voisines, selon la police citée par l'AFP. Des véhicules ont brûlé à Sevran, Bondy et Neuilly-sur-Marne. A Montfermeil, le garage de la police municipale a été incendié peu après minuit. A Aulnay-sous-Bois, toujours dans le département de Seine-Saint-Denis, les forces de l'ordre ont subi des caillassages.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335246
A Clichy-sous-Bois, un des onze véhicules incendiés dans la nuit de lundi à mardi. En dépit de quelques incidents, la Seine-Seine-Saint-Denis a retrouvé un calme relatif.
Evénement
Clichy-sous-bois Editorial Irresponsabilité
Par Antoine de GAUDEMAR mardi 01 novembre 2005

Un syndicat de policiers demandait hier aux partis politiques de ne pas jeter de l'huile sur le feu après les incidents de Clichy-sous-Bois. Mais qui joue avec le feu depuis des années ? Qui a laissé dépérir la police de proximité, et toute réelle politique de prévention ? N'est-ce pas en premier lieu le ministre de l'Intérieur avec ses déclarations à l'emporte-pièce contre les «voyous» et la «racaille», et les quartiers qu'il faudrait nettoyer «au Kärcher» ? On ne s'étonnera pas que ces propos provocateurs aient créé un climat de tension très palpable dans nombre de quartiers dits sensibles. Les forces de l'ordre s'y sentent non seulement encouragées dans leurs opérations répressives, mais quasi couvertes en cas de bavure, jusqu'à envoyer sans état d'âme des grenades lacrymogènes à l'intérieur d'une mosquée, où sont rassemblés des centaines de fidèles. Quant aux habitants de ces quartiers, à commencer par ceux de Seine-Saint-Denis, ils se sentent constamment soupçonnés, et comme tels soumis à des contrôles incessants. Que le ministre de l'Intérieur affirme non sans courage sa détermination à lutter contre l'insécurité, rien de plus normal, il est payé pour ça. Mais qu'il en profite pour stigmatiser des populations entières et se livrer à des fanfaronnades aussi bravaches qu'inutiles, cela devient inadmissible. Son goût de l'affrontement lui fait perdre son sang-froid, comme s'il voulait se placer sur le même terrain que ceux qu'il défie, et transformer son bras de fer sécuritaire en bras d'honneur permanent. Cette irresponsabilité inquiète d'autant plus que, devant tant de démagogie et si peu d'humanité, bien peu de voix dans son camp s'élèvent, sauf un ministre, Azouz Begag, qui semble comprendre le rôle de «beur de service» qui lui est réservé : de l'affichage.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335202

Evénement
Clichy-sous-Bois. Editorial Ghettos
Par Gérard DUPUYlundi 31 octobre 2005

Parler sans savoir, ça fait partie du mécanisme même de la rumeur mais c'est en principe exclu de l'exercice gouvernemental. Malheureusement, si la machine à rumeurs a fonctionné pour enflammer les esprits des jeunes habitants de Clichy-sous-Bois, Sarkozy, mais aussi Villepin se sont empressés de répercuter des accusations infondées. A l'origine de l'accident qui a coûté la vie à deux jeunes, il y avait un cambriolage (en réunion, pour faire bonne mesure). Or cette version ministérielle a été vite démentie. Les Clichois qui faisaient le coup de main contre les policiers y verront la confirmation de cela même qui les enrage : qu'ils sont jugés à l'avance et à l'avance réprouvés. Clichy avait besoin d'apaisement, on a préféré remettre un petit coup de jus.
L'animosité à l'égard des policiers est souvent confortée par la conception trop musculaire que certains d'entre eux se font de leur métier. Mais les incidents de Clichy ont montré une nouvelle fois que l'agressivité des jeunes s'étendait aussi aux pompiers, voire aux postiers. Chaque fonction appartenant à l'Etat, si manifestement utile soit-elle, devient prétexte à vider une querelle par l'intermédiaire d'un de ses représentants, si humble soit-il. C'est une réaction typique des ghettos ethniques et qui oblige à poser la question : combien de pompiers blacks, de postiers beurs ? Sarkozy soutient ­ avec courage, vu son entourage politique ­ des propositions de discrimination positive en faveur des milieux sociaux handicapés (et handicapants). En l'état, cela semble ne servir que de décoration à un trop-plein de discriminations négatives. La mesure, non le laxisme, en matière d'ordre est un préalable sans lequel rien de positif ne se fera. Sarkozy en est loin.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=334986
Société
Nouvelle nuit de violence à Clichy-sous-bois Plus de 400 jeunes se sont affrontés aux forces de l'ordre pour une deuxième nuit consécutive après le décès de deux adolescents jeudi.
Par AFP samedi 29 octobre 2005 (Liberation.fr - 09:15)

De nouvelles violences urbaines consécutives au décès de deux adolescents jeudi ont éclaté à Clichy-sous-Bois vendredi soir, une balle réelle ayant notamment été tirée sur un véhicule de CRS.
"Un fourgon (où se trouvaient des CRS) a fait l'objet d'un tir", a indiqué au cours d'un point de presse le directeur départemental de la sécurité publique Jacques Méric. Plus de 400 fauteurs de trouble au total ont eu maille à partir avec les forces de l'ordre, a-t-il précisé.
Deux-cent cinquante à trois cents policiers et gendarmes ont été déployés sur les lieux. Sept policiers ont été légèrement blessés, et neuf personnes ont été placées en garde à vue. Vingt-neuf véhicules et dix poubelles ont été incendiés, apparemment avec l'aide d'hydrocarbures selon les pompiers de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, qui ont déclenché le plan "trouble urbain" vers 21h15. Les pompiers sont intervenus une quarantaine de fois.
Le préfet Jean-François Cordet s'est rendu sur place.
Les troubles se sont principalement déroulés dans le quartier du Chêne-Pointu, qui avait déjà été jeudi soir le théâtre de violents affrontements entre jeunes et forces de l'ordre. La ville s'était embrasée à la suite du décès de deux adolescents de 17 et 15 ans, Ziad et Banou, morts électrocutés après s'être introduits dans l'enceinte d'un transformateur EDF. La rumeur s'était répandue que les deux jeunes s'étaient réfugiés dans cet endroit à la suite d'une course-poursuite avec la police, ce qui a été démenti par la préfecture.
Les troubles de vendredi ont commencé peu après 21 heures. Selon Joaquin Masanet du syndicat de policiers UNSA, environ 80 jeunes du Chêne-Pointu s'en sont pris à des CRS "en mission de sécurisation" et ont commencé à jeter des projectiles et des cocktails molotov sur les forces de police, avant de tirer un coup de feu contre un véhicule où se trouvaient des CRS. "Nous avons essayé de négocier avec certains jeunes mais ils avaient la volonté d'en découdre", a expliqué le premier maire adjoint Olivier Klein, présent au plus fort des affrontements.
Peu après minuit le calme était revenu. Epaves calcinées et poubelles en feu continuaient d'enfumer la cité, sous l'oeil attentif des habitants. "J'ai failli me prendre une balle en caoutchouc. C'était une vraie scène de guérilla. J'ai vu un petit qui avait reçu une balle, il avait l'air de beaucoup souffrir", a témoigné Rachid, 26 ans.
Une marche en hommage aux deux victimes se déroulera samedi à partir de 9H30. Le départ est prévu devant la mairie de Clichy-sous-Bois.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=334757

Société
Violences à Clichy-sous-Bois après la mort de deux jeunesZiad et Banou se sont électrocutés après avoir fui jeudi une interpellation policière.
Par Fabrice TASSEL samedi 29 octobre 2005

De nouvelles violences urbaines ont éclaté tard dans la soirée de vendredi à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) entre des jeunes des quartiers «sensibles» et les forces de l'ordre. Selon la préfecture, une balle réelle aurait même été tirée sur un véhicule de CRS. On dénombrait, vers 22 h 30, dix-sept feux de véhicule ou de poubelle. La nuit précédente, des affrontements avaient opposé 200 jeunes à autant de policiers dans le quartier de Chêne-Pointu. Bilan : 23 véhicules et un centre commercial incendiés, les vitres d'un bureau de poste brisées... Les jeunes du quartier venaient d'apprendre la mort, jeudi en fin de journée, de Ziad, 17 ans et Banou, 15 ans, électrocutés dans un transformateur EDF. Pourquoi ces deux adolescents et un de leurs copains de 21 ans se sont-ils introduits dans un lieu aussi dangereux ? Leur ami, grièvement blessé, a indiqué aux enquêteurs qu'il ne se souvenait plus de rien.
Portable. Vendredi, Jacques Méric, le directeur départemental de la sécurité publique, a indiqué qu'une enquête était en cours. Les corps des deux adolescents ont été retrouvés peu avant 19 heures par les pompiers, alertés par un coup de téléphone portable qui n'a pas encore été identifié. Peu avant, vers 17 h 20, deux policiers repèrent trois jeunes qu'ils soupçonnent de cambrioler un cabanon de chantier à Livry-Gargan, ville limitrophe de Clichy-sous-Bois, à 800 mètres à pied du transformateur. Les jeunes disparaissent dans une rue proche du chantier. Ils sont rejoints par un autre groupe. Au total, ils sont, selon un enquêteur, «entre six et neuf».
Alors que les policiers procèdent à l'interpellation, une partie de la bande s'échappe. Les policiers coursent les fuyards, puis abandonnent et emmènent six mineurs au commissariat. Au moment où un fonctionnaire entame la rédaction de son rapport, une panne d'électricité paralyse le bâtiment. Personne ne le sait encore, mais Ziad et Banou viennent de mourir. Il est 18 h 15. A 18 h 30, un technicien EDF se rend au transformateur protégé par un mur, mais dépourvu de toit.
«Aucun lien». La préfecture a affirmé vendredi que la police «n'était pas sur les lieux au moment de l'accident», donc «qu'aucun lien [n'existait] entre les deux incidents». Nicolas Sarkozy a, lui, indiqué que «la police conteste formellement que les jeunes étaient physiquement poursuivis». Dominique de Villepin a expliqué qu'il s'agissait, selon les indications qui lui avaient été données, de «cambrioleurs qui étaient à l'oeuvre», avant de parler d'un «terrible drame humain». Seul l'ami de Ziad et Banou pourra peut-être expliquer pourquoi ils étaient allés se réfugier dans ce lieu.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=334689

Société
Nuit d'émeute à Clichy-sous-Bois Après la mort jeudi soir de deux jeunes qui s'étaient réfugiés dans un transformateur EDF, deux cents personnes se sont heurtées à la police jusqu'à deux heures du matin • Une zone d'ombre : pourquoi les deux ados se sont-ils réfugiés dans un endroit aussi dangereux ?
Par Jacky DURAND et Fabrice TASSEL vendredi 28 octobre 2005 (Liberation.fr - 19:30)

Deux morts, une nuit d'émeute, un quartier vandalisé, et quelques questions en suspens: tel est vendredi matin le bilan des incidents de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Les deux morts sont des jeunes de la cité du Chêne-Pointu, décédés alors qu'ils s'étaient réfugiés, peu avant 19h, dans un transformateur EDF situé au fond d'une impasse. Ziad avait 17 ans et Banou 15 ans.
Les raisons pour lesquelles ils se sont abrité dans un lieu aussi dangereux font partie des principales zones d'ombre. Il semble que les deux jeunes – ainsi qu'un troisième, âgé de 21 ans, grièvement blessé – tentaient d'échapper à la poursuite de la police, qui les a découverts en train de tenter de cambrioler un cabanon. Selon plusieurs sources, les policiers n'ont que très brièvement poursuivis les jeunes s'échappant du chantier. Vendredi soir, donc, seul le copain de Ziad et Banou était en mesure d'expliquer clairement pourquoi ils avaient pénétré dans un lieu si dangereux, une sorte de cube de béton enceint d'un mur et d'un grillage mais dépourvu de toit, et donc accessible. Ce jeune était toutefois encore sous le choc et incapable de répondre aux questions des enquêteurs. Face à la colère et à la rumeur selon laquelle la police avait en quelque sorte obligé les jeunes à se réfugier dans ce transformateur EDF, Nicolas Sarkozy a affirmé dès vendredi matin que «la police conteste formellement que les jeunes étaient poursuivis». Il a précisé que lorsque les policiers sont arrivés sur le lieu de la tentative de cambriolage, «trois jeunes sont partis en courant». Le ministre a aussi qualifié les incidents de «dramatiques» et a déploré «une nuit d'émeute, je dirais une de plus».
En fin de matinée, à l'occasion d'une conférence de presse, Jean-Michel Bonte, secrétaire général de la préfecture de Seine-Saint-Denis a lui aussi affirmé «qu'il n'y a pas eu de course poursuite et les policiers n'étaient pas aux trousses des jeunes avant qu'ils n'arrivent au transformateur. Il n'y a également aucun lien établi entre un contrôle policier survenu plus tôt à propos d'un vol de chantier et la mort des deux jeunes». Dans la nuit, un communiqué des pompiers indiquait qu'ils avaient été appelé pour porter secours à trois personnes électrocutées dans un transformateur «après avoir tenté d'échapper à la police».
Une fois connue, la nouvelle de ce double décès a jeté dans la rue plusieurs dizaines de jeunes, environ 200 selon la place Beauvau. «On vu les jeunes se masser progresssivement et venir au contact», indique un secouriste. Ils s'en sont d'abord pris aux pompiers venus tenter de secourir les trois jeunes réfugiés dans le transformateur. Après avoir médicalisé le blessé sur place, les pompiers sont obligés de le transporter au centre de secours de Clichy-sous-Bois pour échapper aux caillassage. Vers 23h, ils déclenchent le plan de secours «troubles urbains» tandis que des «bandes incontrôlées de plusieurs dizaines de jeunes», selon les termes de l'état-major des sapeurs-pompiers de Paris, s'en prennent aux engins en intervention et au centre de secours de Clichy-sous-Bois et à d'autres bâtiments. Vingt-trois voitures brûlées, les vitres d'un centre commercial brisées, des abri-bus vandalisés, une école, la poste et la mairie de Clichy-sous-Bois font l'objet de caillassages. Face à ces jeunes, jusqu'à 300 policiers ont répliqué jusqu'à 2h du matin.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=334586

Evénement
Clichy-sous-bois Azouz Begag, ministre de la Promotion de l'égalité des chances:«On ne rétablira pas l'ordre avec plus de CRS»
Par Charlotte ROTMAN mardi 01 novembre 2005

Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances, sociologue, et auteur du Gone du Chaâba, né dans un bidonville lyonnais, a été choqué par les propos du ministre de l'Intérieur sur la banlieue.
Comment réagissez-vous aux termes de «voyous et racaille» employés par Nicolas Sarkozy à Argenteuil la semaine dernière ?
Je conteste cette méthode de se laisser déborder par une sémantique guerrière, imprécise. Quand on évoque des situations délicates, il faut le faire dans le sens de l'apaisement. Il s'agit de «quartiers sensibles» (1), difficiles, où l'on sent aussi une certaine susceptibilité. Certains sont morts à cause d'insultes. Hier, j'ai entendu qu'il parlait de «vrais jeunes qu'il faut aider». Qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a des vrais et des faux jeunes ? De tels propos ne peuvent pas aider à retrouver du calme dans des territoires en surchauffe.
De plus, je regrette de ne pas être associé, quand il y a un dialogue difficile avec des jeunes. A chaque fois que mon collègue (Sarkozy, ndlr) intervient en banlieue même quand il s'agit d'égalité des chances, je ne suis jamais contacté. J'en suis surpris alors que je suis l'un des rares au gouvernement à être légitimé par vingt-cinq ans d'expérience et de travail sur ces quartiers. Quand on nomme un préfet musulman, quand on dit vouloir donner le droit de vote aux étrangers et qu'on envoie des CRS contre les jeunes de banlieues, il y a un décalage. Il faut certes tenir un langage de la fermeté, pour le rétablissement de l'ordre. Mais c'est en luttant contre les discriminations dont sont victimes les jeunes qu'on rétablira l'ordre, l'ordre de l'égalité. Pas en amenant plus de CRS.
Sarkozy voulait déjà «nettoyer au Kärcher» une cité à La Courneuve...
Il faut cesser d'aller avec caméras et journalistes dans ces zones de pauvreté et de susceptibilité. A chaque fois, c'est une provocation. C'est le contraire qu'il faut faire. Il faut prendre le temps de l'écoute, rencontrer ces gens dans la quotidienneté, et l'intimité. Mon avenir à moi ne se situe pas en mai 2007, mais en 2057. Quand j'aurai 100 ans. Je n'ai pas un regard électoral sur ces questions.
Selon Laurent Fabius, Sarkozy «crée un climat terrible» dans les banlieues.
La gauche n'a rien à dire, quand on voit la manière dont elle nous (les enfants d'immigrés, ndlr) a éloignés de la représentation politique. Aujourd'hui profiter de la mort de ces deux jeunes pour se refaire une virginité politique sur la question des banlieues, c'est un scandale.
Qu'attendez-vous du gouvernement ?
Il faut pouvoir dire en tant que ministre : «Je sais que votre gueule, votre nom, votre peau vous rendent la tâche plus difficile. Il faut mettre le paquet pour vous.» Je travaillerai sans relâche pour que les épouvantails de l'immigré, du terroriste, du clandestin, du faux jeune de banlieue, sortent du débat politique et pour qu'on y place la question de l'ascenseur social.
(1) Titre d'un livre d'Azouz Begag et Christian Delorme, Seuil, 1988.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335200
Evénement
Clichy-sous-boisVillepin et Sarkozy se battent aussi à ClichyBras de fer sans précédent, et par lieutenants interposés, entre les deux hommes suite à la gestion désastreuse des affrontements.
Par Eric AESCHIMANN mercredi 02 novembre 2005

Des soirées d'émeutes en Seine-Saint-Denis à la guerre ouverte au sommet de l'Etat. D'une tragédie pour des familles au choc de deux ambitions. Cinq jours après la mort de deux jeunes de Clichy, électrocutés dans un transformateur, et après cinq nuits d'émeutes et d'incidents, la question des banlieues est devenue l'objet d'un bras de fer sans précédent entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy.
Hier, les deux hommes se sont facticement réconciliés en recevant ensemble à Matignon les parents des victimes, avant d'annoncer leur volonté d'«apporter des solutions concrètes aux difficultés rencontrées à Clichy-sous-Bois». Mais au même moment, la bataille politique montait d'un cran, par lieutenants interposés.
Lundi, Sarkozy avait essuyé une rebuffade quand les familles de Bouna et Zyed, les deux jeunes décédés, ont décliné sa proposition de les recevoir. Pis : le frère de Bouna demandait à rencontrer le Premier ministre. Finalement, hier à 18 heures, les proches ont été reçus par Dominique de Villepin flanqué de son ministre d'Etat. L'entretien a duré deux heures et le Premier ministre a «témoigné sa profonde sympathie et son appui dans cette terrible épreuve», en assurant les familles «que toute la lumière serait faite sur les circonstances de cet accident». Dans le même communiqué, l'hôtel Matignon a annoncé la tenue d'une réunion, tard dans la soirée, place Beauvau «sous la présidence» de Sarkozy «afin d'ouvrir le dialogue dans un esprit de respect mutuel». Message implicite : désormais, dans ce dossier, c'est le Premier ministre qui décide et Sarkozy qui exécute.
Begag contre Sarko. Histoire de calmer le jeu, Villepin n'avait pas convié à Matignon Azouz Begag, son ministre chargé de la Promotion de l'égalité des chances. Il s'est contenté de le recevoir après, pendant trois quarts d'heure. Discret depuis sa nomination, l'écrivain et sociologue lyonnais s'est transformé depuis deux jours en Robocop anti-Sarkozy. Multipliant les interventions médiatiques, il dénonçait hier dans Libération «la sémantique guerrière» du ministre de l'Intérieur. Une semaine plus tôt, il avait qualifié de «faux débat» la question du droit de vote aux immigrés. Une stratégie de réponse systématique très calculée. Car avec Begag, le Premier ministre pense avoir trouvé un moyen de concurrencer, au moins dans la tonalité, l'omniprésence de Sarkozy sur le sujet, de l'inciter à la surenchère et donc à la faute. Une véritable politique du pire qui inquiète certains ténors chiraquiens. «Villepin va y laisser des plumes. Car même si Sarkozy manoeuvre de façon critiquable, il reste son ministre», assure l'un d'eux. En ayant l'air de se réjouir des incidents de Clichy-sous-Bois, le Premier ministre joue avec le feu au moins autant que les incendiaires de voitures.
La réponse de Sarkozy ne s'est pas fait attendre, sous la forme d'une succession cousue de fil blanc de déclarations à l'AFP. Sept de ses fidèles, pas moins, se sont exprimés. Des députés UMP ont affirmé que les problèmes d'intégration relevaient du ministère des Affaires sociales (Yves Jégo), demandé la démission de Begag (Alain Marleix), dénoncé le «silence assourdissant» de Villepin (Pierre Cardo). Et Christian Estrosi, ministre à l'Aménagement du territoire, a rappelé le devoir de solidarité gouvernementale.
Chirac surveille. Sarkozy, lui, s'est contenté d'accueillir à son ministère des jeunes d'Argenteuil, où son déplacement mouvementé la semaine dernière lui avait déjà permis de monopoliser l'intérêt des médias. Et ce matin, dans le Parisien, il défend sa politique «ferme mais juste» vis-à-vis des banlieues. Ce qui n'empêche pas son entourage de dénoncer, sans rire, «le plan média» d'Azouz Begag.
«Notre électorat est furieux de ces bagarres. C'est trop tôt pour ouvrir la compétition de 2007», se lamente un dirigeant UMP. Le chef de l'Etat, dont l'équation politique repose sur le double thème de la sécurité et de l'intégration, suit de très près le dossier. Hier, son cabinet était en contact avec l'équipe de Sarkozy. En liaison permanente avec Villepin, Jacques Chirac n'est pas étranger au rabibochage de façade d'hier soir. Et pourrait bien décider de siffler la fin de la récré. Par exemple dès ce matin, au Conseil des ministres.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=335435