16 février 2006

«Je dois ajouter que celui qui voudrait esquisser une sémiotique de la cité devrait être à la fois sémiologue (spécialiste des signes), géographe, historien, urbaniste, architecte et probablement psychanalyste. Puisqu’il est bien évident que ce n’est pas mon cas - en fait je ne suis rien de tout cela si ce n’est, et encore à peine, sémiologue -, les réflexions que je vais vous présenter sont des réflexions d’amateur, au sens étymologique de ce mot : amateur de signes, celui qui aime les signes, amateur de villes, celui qui aime la ville. Car j’aime et la ville et les signes. Et ce double amour (qui probablement n’en fait qu’un) me pousse à croire, peut-être avec quelque présomption, en la possibilité d’une sémiotique de la cité. A quelles conditions ou plutôt avec quelles précautions et quels préliminaires une sémiotique urbaine sera-t-elle possible ? "

Roland Barthes,
in Sémiologie et Urbanisme, 1967


1. Définition du sujet

L’analyse du fait urbain est devenue, plus que jamais, complexe. Les études urbaines semblent tiraillées entre deux tendances :
- la ville, dans un premier cas, est appréhendée comme un milieu exerçant ses effets sur les phénomènes sociaux,
- à l’inverse, dans un autre cas, la ville est perçue comme le réceptacle des activités sociales.

Dans ce contexte, il m’a semblé intéressant d’appréhender la ville – et ses mutations – à travers de nouvelles grilles de lecture. Lors de ma première année de recherche, j’ai étudié le phénomène métropolitain à partir des outils spécifiques de la sémiotique (urbaine). Progressivement, le sujet de recherche a évolué afin de s’intéresser plus largement aux langages de la ville. Désormais, la proposition de recherche s’intéresse aux mots des maux de la ville dans une perspective sémiotique. Il s’agit d’étudier, en sciences sociales, le contexte d’émergence d’une sémantique urbaine.

Les principaux problèmes rencontrés dans le cadre de ce travail de recherche concernent le choix du corpus d’étude et le type d’approche privilégiée. Concernant le choix du corpus, une première délimitation a été rendue nécessaire. Le traitement médiatique du problème des banlieue parce qu’il donne lieu à un « fait de langue » spécifique a été retenu. L’approche choisie pour l’analyse des mots de la ville privilégie les sciences sociales aux sciences du langage. Ces dernières ont déjà eu l’occasion d’explorer à plusieurs reprises ce cadre problématique.

- Questionnements :
Dans quelle mesure « les mots de la ville » constituent-ils des faits de langue particuliers ?

Participent-ils aux processus de stigmatisation urbaine des territoires urbains périphériques ? Dans quelle mesure ?
Dans quel contexte se déploie le vocabulaire sur la ville ? Quelles sont les origines linguistiques et herméneutiques de ces faits de langue ?
Dans quelle mesure « les mots de la ville » participent-ils aux luttes de classement sémantiques ?
Quelle entrée privilégier, en science sociale afin d’appréhender les mots de la ville ?
Peut-on observer l’apparition (et/ou la disparition) de « mots-événements » dans le discours médiatique sur les territoires urbains stigmatisés.
Le traitement médiatique du « problème des banlieues » permet-il d’appréhender l’évolution des mots de la ville ? Participe-t-il à une nouvelle sémiotique de l’espace urbain ?

La recherche proposée présente plusieurs limites inhérentes à la spécificité du sujet. Ainsi, à l’inverse des recherches conduites sur les mots de la ville par l’UNESCO dans le cadre de son programme MOST, la problématique développée dans ce mémoire s’intéresse aux mots de la ville dans le registre linguistique de la langue française. De plus, elle se limite à l’étude analytique du lexique de la stigmatisation urbaine sans prétention d’exhaustivité.

2. Positionnement

L’analyse des mots des maux de la ville à partir des sciences sociales nécessite de mobiliser plusieurs types de notions et de concepts scientifiques. Une première approche, qu’il est possible de qualifier d’historique, entend s’appuyer sur les concepts de la sémantique urbaine. Les travaux des géographes et des sociologues, marxistes notamment (P. Georges, 1950 ; H. Lefebvre, 1967 ; C. Topalov, 2002), et des sociolinguistes (L. Mondada 2000, Bulot 2002) permettent d’appréhender la ville à travers ses mots. Ces recherches sont complétées par d’autres approches : géographiques (H. Vieillard-Baron, 2001 ; H. Rivier d’Arc, 2001), philosophiques (F. Choay, 1972) et sémiologiques (R. Fauque, 1973, B. Lamizet, 2001 ; K. Stierle, 2001).

L’étude approfondie du traitement médiatique du « problème des banlieues » a, quant à elle, nécessité une double approche. Cette dernière s’appuie, d’une part, sur les travaux de recherche des spécialistes de la question urbaine (P.-H. Chombart de Lauwe, 1982 ; A. Fourcaut, 2003 ; G. Baudin et P. Genestier, 2002, J. Donzelot, 2003 ; L. Coudroy de Lille, 2004) et, d’autre part, sur les recherches menées sur la presse écrite et les représentations des banlieues (S. Tissot, 2003 ; P. Roland, 1996).

L’approche analytique développée dans ce travail de recherche s’appuie sur la pluridisciplinarité des sciences humaines.
Le poids des sciences du langage et de la linguistique, dans cette démarche, a volontairement été amoindri afin de rendre compte de la diversité des langages urbains et de leurs évolutions. La diversité des disciplines mobilisées répond à la nécessité d’élaborer de nouvelles grilles de lecture de l’urbain et de ses territoires. Les notions d’ « espace » et de « temps » sont au cœur de la problématique des mots de la ville.

3. Méthodologie

Les outils méthodologiques mobilisés dans ce travail de recherche font appel à la sociologie, à la géographie et, dans une moindre mesure, à la linguistique (herméneutique). L’analyse de contenu textuel constitue l’outil privilégié dans l’analyse des mots de la ville. Cette dernière, mise en œuvre à partir de grille de lecture évolutives, pourra être complétée par une analyse automatique du langage (outils informatiques des sciences du langage notamment).

Les choix bibliographiques et l’élaboration du corpus de texte constituent des étapes essentielles du travail de recherche sur les mots de la ville. L’absence de terrain d’étude spatialisé constitue cependant une contrainte importante.

4. Bibliographie sélective
(Par ordre d’apparition)

GEORGE P., AGULHON M, LAVANDEYRA, L.A., Études sur la banlieue de Paris : Essais méthodologiques, Paris, Colin, 1950,
LEFEBVRE H., « Sur la notion de quartier », Cahiers de l'IAURP, n° 7, 1967
TOPALOV C., Les divisions de la ville, Paris, Collection les mots de la ville, Maison des Sciences de l’Homme, 2002
MONDADA L., Décrire la ville. La construction des savoirs urbains dans l'interaction et dans le texte. Paris, Anthropos, 2000
BULOT T., La double articulation de la spatialité urbaine : « espaces urbanisés » et « lieux de ville » en sociolinguistique, Saint-Chamas, in Marges linguistiques n°3, mai 2002, pp 91 -105
VIEILLARD-BARON H., Les banlieues, des singularités françaises aux réalités mondiales, Hachette, 2001
RIVIER D’ARC H. (dir.), Nommer les nouveaux territoires urbains, Paris, Collection les mots de la ville, Maison des Sciences de l’Homme, 2001
CHOAY F., BANHAM P., Le sens de la ville, Paris, Seuil, 1972
FAUQUE R., « Pour une nouvelle approche sémiologique de la ville, la ville constitue-t-elle un système ? », Espaces et sociétés, 1973, n° 9, pp. 15-27.
LAMIZET B., SANSON P., Les langages de la ville, Paris, Ed. Paranthèses, 1998
STIERLE K., La capitale des signes : Paris et son discours, Paris, MSH, 2001
CHOMBART DE LAUWE P.-H., « Périphérie des villes et crise de civilisation », Cahiers internationaux de sociologie, 72, 1982, pp. 5-16.
FOURCAUT Annie, avec DUFAUX Frédéric et SKOUTELSKY Rémi, Faire l’histoire des grands ensembles. Bibliographie 1950-1980, Lyon, ENS éditions, Coll. « Sociétés, espaces, temps », 2003
BAUDIN G., GENESTIER P., Banlieues à problèmes - la construction d'un problème social et d'un thème d'action publique, Paris, La Documentation Française, 2002
DONZELOT J. et al, Faire Société. La politique de la ville aux Etats-Unis et en France, Paris, éditions du Seuil, 2003
COUDROY DE LILLE L., Le « grand ensemble » et ses mots, in DUFAU F., FOURCAUT A., Le monde des grands ensembles, Paris, Créaphis, 2004
TISSOT Sylvie, « De l’emblème au “problème” (les grands ensembles à Montreuil) », Annales de la recherche urbaine, Paris, 2003, n° 93, p. 123-129.
ROLAND Patrick, L’image de la banlieue dans le quotidien «Libération» de 1981 à 1991, Maîtrise d’histoire sous la direction de FOURCAUT A., Université Paris 1-Centre d’histoire sociale du XXe siècle, 1996