23 janvier 2008

Les villes portent les stigmates des passages du temps, occasionnellement les promesses d'époques futures


Des plans «banlieue», Vaulx-en-Velin en avait vu défiler quelques-uns avant celui présenté hier par la secrétaire d’Etat à la ville, Fadela Amara, (lire page 10). Petit bourg agricole du Rhône à l’est de Lyon, Vaulx s’est transformé en zone à urbaniser en priorité (ZUP) à la fin des années 60. Des centaines d’immeubles ont poussé dans les champs, sans le moindre centre-ville. Depuis, la commune a appliqué tous les dispositifs successifs de la politique de la ville. Des moyens importants et des procédures dérogatoires pour ramener dans le droit commun les quartiers en difficulté. Vaulx et ses 40 000 habitants en ont plutôt profité.

Le maire actuel, Maurice Charrier (apparenté PCF), est arrivé avec la ZUP, en 1972. «J’ai emménagé en janvier, raconte-t-il. J’étais le premier locataire de mon immeuble, au Mas-du-Taureau. J’arrivais d’Avignon, où on avait les toilettes dans la cour. On était heureux de s’installer là.» Quelques années plus tard, en 1979, la ville inaugure pourtant les émeutes urbaines, bientôt suivie par Villeurbanne et Vénissieux, autour de Lyon. Les décideurs découvrent alors le désœuvrement des cités, les indicateurs de précarité au plus bas. La crise est passée par là, le chômage a pris ses aises. Et les classes moyennes se sont lancées en même temps dans des parcours résidentiels qui n’ont laissé dans les cités que les populations captives.
L’Etat réagit d’abord sous Raymond Barre, à la fin des années 70, avec les opérations de rénovation habitat et vie sociale (HVS). On travaille surtout le bâti, un peu l’insertion. Mais en ordre dispersé, sans mettre vraiment les moyens. «Les dispositifs ont mis très longtemps avant de comprendre que pour redresser une ville aussi enlisée il faut agir massivement et globalement, en pesant sur tous les facteurs à la fois», résume Saïd Yahiaoui, ancien secrétaire général de la mairie de Vaulx-en-Velin, qui enseigne aujourd’hui à Sciences-Po. Dans les années 80, la gauche lance les zones d’éducation prioritaire (ZEP), le développement social des quartiers (DSQ), la délégation interministérielle à la ville (DIV), etc. L’accent est toujours mis sur l’habitat. Michel Rocard promet de réparer les boîtes aux lettres. Comme aujourd’hui Fadela Amara de ramener «le beau» dans les cités.

Un vaste chantier

Vaulx-en-Velin profite des moyens débloqués pour refaire le cœur du Mas-du-Taureau, le plus gros quartier de la ville. Un centre commercial tout neuf est inauguré en octobre 1990 par Michel Noir, président de la communauté urbaine. Quelques jours plus tard, un jeune meurt dans une collision avec une voiture de police, la ville s’embrase, le centre flambe. «Nous avons réalisé que la dimension réseau, le lien social, n’existait plus, explique Saïd Yahiaoui, qui était alors à la mairie. L’Eglise, les syndicalistes, les politiques, tout ce qui structurait la cité avait disparu.» L’architecte Roland Castro estimait hier, au cours d’une table ronde à Vaulx, qu’il aurait alors surtout fallu donner le droit de vote à tous les immigrés aux scrutins locaux, «mesure civilisationnelle indispensable pour associer tout le monde aux transformations».

Après les émeutes de 1990, François Mitterrand vient dans l’agglomération lyonnaise annoncer l’arrivée d’un premier ministre de la Ville, Michel Delebarre. Suit une loi d’orientation pour la ville (LOV), annoncée, déjà, comme un grand plan pour la banlieue. Elle reprend en réalité l’essentiel des dispositifs existants et ajoute une mesure importante, la dotation de solidarité urbaine (DSU), qui instaure une péréquation entre communes pauvres et communes riches.

Vaulx-en-Velin entame alors un vaste chantier. La ville a décidé d’une stratégie. Concentrer ses efforts sur la construction d’un centre-ville qui n’a jamais existé, puis refaire à partir de là le reste de la ville. Pour inverser une spirale négative, elle veut diversifier l’habitat et peser sur tous les autres facteurs en même temps. «Nous avions un projet global, résume Maurice Charrier. Nous voulions viser une plus grande mixité, développer les transports en commun, travailler sur la santé, le sport, la sécurité, l’éducation, l’accès à l’emploi, etc. Pour cela, il a fallu développer des partenariats avec les collectivités et les administrations.» La communauté urbaine de Lyon participe alors, finance les mêmes matériaux dans le centre de Vaulx que dans celui de Lyon.

Cette dimension intercommunale joue un rôle important depuis quinze ans pour rééquilibrer progressivement l’agglomération lyonnaise. Vaulx-en-Velin récupère de grands équipements. L’Ecole nationale des travaux publics, l’école d’architecture, un planétarium… Puis, en 1996, le pacte de relance pour la ville du gouvernement Juppé valide la stratégie mise en place dans des villes comme Vaulx ou Roubaix. «Vaulx-en-Velin a inventé la politique de la ville», estimait hier à Vaulx l’architecte Roland Castro. «On fait alors un bond qualitatif», raconte Maurice Charrier. L’Etat lance les grands projets urbains (GPU), pour concentrer les moyens sur une cinquantaine de quartiers, en pesant sur tous les leviers. Il lance également les zones franches urbaines, que Fadela Amara se propose d’étendre aujourd’hui. Vaulx-en-Velin en profite. Ses pépinières d’entreprises sont aujourd’hui dynamiques.

L’arrivée des classes moyennes

Dans ces années 90, l’Etat innove et se réforme dans les quartiers en difficulté. Des procédures dérogatoires limitent les blocages administratifs ; les administrations tentent des expériences nouvelles. A Vaulx, par exemple, une juge d’application des peines travaille avec une commissaire de police et une enseignante pour expliquer le droit dans la cité. Mais la plupart de ces innovations restent expérimentales. Elles ne passeront pas dans le droit commun.

En revanche, les dispositifs s’empilent, la politique de la ville s’opacifie, chaque gouvernement apportant sa couche pour rendre l’action plus précise. Revenant au pouvoir en 1997, la gauche prolonge la politique d’Eric Raoult, transforme simplement les GPU en GPV. Cette continuité est présentée comme un nouveau plan. Mais le vrai changement arrive avec la police de proximité, et surtout les emplois jeunes. «L’effet a été énorme, se souvient Saïd Yahiaoui. A Vaulx, nous avons embauché pour cinq ans 75 jeunes, pris en charge à 75 % par l’Etat. Quelle aubaine ! Cela a permis d’intégrer dans les collectivités des gens qui n’avaient pas accès aux concours. Ils ont été formés, suivis, la moitié d’entre eux sont restés, et la mairie est un peu plus à l’image de la ville.» Les établissements scolaires et les associations profitent alors de cette présence accrue d’adultes. Leur disparition n’en sera que plus rudement ressentie. «Aujourd’hui, plutôt que d’entendre parler d’un plan contre la glandouille, nous aimerions retrouver les moyens de soutenir l’accompagnement scolaire», dénonce ainsi Hélène Geoffroy, adjointe socialiste et candidate aux prochaines municipales. De la même façon, elle relève que l’Etat engage un plan pour l’emploi, mais a refusé de construire dans l’Est lyonnais une Maison pour l’emploi regroupant tous les services, comme cela existe dans le centre et l’ouest de Lyon.

Avec le recul, le maire, Maurice Charrier, estime que les politiques de la ville successives se sont inscrites dans la continuité malgré les annonces régulières de «plans Marshall». Il s’en réjouit. «La réussite de ces politiques dépend surtout des moyens et du temps qui leur est laissé pour faire sentir leurs effets.» La seule rupture, «idéologique» selon lui, serait venue en 2002 avec la fin de la police de proximité et des emplois jeunes. «Certains élus comme Nicolas Sarkozy ou Patrick Devedjian ne comprenaient rien à ce qui était engagé dans nos territoires.» La création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) poursuit cependant le travail engagé, simplifie un peu les procédures et regroupe les financements pour continuer les opérations de renouvellement engagées. Vaulx-en-Velin y trouve les fonds nécessaires pour le chantier qui sera le plus lourd : réhabiliter le Mas-du-Taureau, 200 millions d’euros pour 500 logements.

Plus qu’un plan, Vaulx réclame désormais du temps, et des moyens encore soutenus. La ville veut refaire les derniers quartiers, attirer le tramway pour achever le désenclavement. Signe des temps, l’un des débats des prochaines municipales concerne l’arrivée des classes moyennes. Une partie des habitants craint que la hausse du foncier ne fasse perdre à terme à la ville son caractère populaire. Saïd Yahiaoui, l’ancien secrétaire général, confirme l’inquiétude mais estime que la ville est désormais sur la bonne pente. «Aujourd’hui, remarque-t-il, on a du mal à se garer dans le centre, on peut s’y asseoir en terrasse, et le prix des terrains monte. C’est le signe que Vaulx est devenue une vraie ville.»
OLIVIER BERTRAND, (c) Libération: mercredi 23 janvier 2008

2 Comments:

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